19/12/2012 12:24

Kétamine et dépression résistante

Catégorie : Lecture
Auteur : Jack R Foucher
Une nouvelle étape dans l’utilisation de la kétamine pour la dépression résistante

L’utilisation de la kétamine dans la dépression résistante uni ou bipolaire a eut un certain retentissement médiatique. Sans doute l’aspect « instantané » de l’effet après une dose unique a-t-il marqué les esprits. Pourtant les études versus placébo restent peu nombreuses (4) et très sous-dimensionnées (n = 8 et 17). Les auteurs se sont posé deux questions : peut-on augmenter le taux de répondeur en augmentant le nombre d’injections ? Quelle est  la durée de cet effet ce qui aura des conséquences sur les stratégies de maintien.

Il s’agit de l’extension d’une première étude de 10 sujets portée à 24 patients déprimés unipolaires, chroniques, et ambulatoires. Les participants devaient avoir été traités par au moins 2 traitements classique et ceux-ci étaient arrêtés 2 semaine avant le début du protocole (4 si fluoxétine). Les patients ont reçu 6 perfusions de kétamine (racémique) à la dose de 0.5 mg/kg délivrée en perfusion sur 40 min les lundi, mercredi, vendredi pendant 2 semaines. Ils n’étaient hospitalisés que 24h lors de chaque perfusion. Les patients étaient suivit pendant 83 jours après la dernière perfusion.

La population présentait une dépression chronique (18 A). Il s’agissait majoritairement du premier ou du second épisode (1.8), le début était précoce (23A) et les hommes surreprésentés (15/9). Trois patients ne sont pas allé jusqu’au bout de l’étude (1 seule fois en raison d’une augmentation de la PA). Dix-sept (71%) patients étaient répondeurs (-50% de symptômes) en fin d’étude avec une MADRS passant de 32 à 5, les non répondeurs présentent une réponse initiale, mais retournent à leur étant de base en fin de protocole (aggravation, p = 0.01). Bien que l’amélioration initiale étaient la plus forte (de 32 à 13), les répondeurs voyaient cette réponse se renforcer avec la répétition des injections (p = 0.004).
Les facteurs prédictifs d’une mauvaise réponse étaient :

  • Une meilleure éducation (p = 0.02),
  • Un âge de début plus précoce (14A ! versus 26A, p = 0.04),
  • Une absence de réponse (réduction des symptômes de 50%) à la 4ème heure après la première injection (95% vs 30%, p = 0.01). La lassitude, les troubles de la concentration et dans une moindre mesure la tristesse rapportée ou observée étaient les items discriminants.

La durée de l’effet (retour à +50% de symptômes), était en moyenne de 18 jours après la dernière injection, 4 patients n’avaient pas rechuté au-delà de 1 mois et leur effet s’est maintenu jusqu’à la fin de la période de suivit.

Les effets secondaires rapportés étaient modérés ce qui avec l’effet rapide a sans doute contribué au fort taux de rétention (1 seul patient arrêtant pour inefficacité) :

  • Augmentation de l’effet psychotomimétique évalué par les 4 items de la BPRS était significatif (p = 0.01), retour à la normal à la 4ème heure.
  • Apparition de symptômes dissociatifs évalués par la « clinician administred dissociative state scale » (CADSS, p = 0.001), retour à la normal à la 4ème heure. Environ 60% des patients rapportent un sentiment d’étrangeté. Il n’y a pas eut de renforcement de ces effets avec la répétition des injections.
  • Elation de l’humeur à la « Young mania rating scale » (YMRS) et une échelle visuelle analogique (p = 0.002).
  • Les effets cardio-vasculaires n’ont été observés que chez 8 participants (33%, élévation de la fréquence cardiaque et de la PA de façon transitoire)

Les auteurs notent que la durée de l’effet après des injection multiples semblent plus long (18J) qu’après une seule injection (3 à 7J). Cependant celui-ci s’apparente au maintient de l’effet si du Riluzol est prescrit dans les suites de l’injection (17 à 24J). Les auteurs suggèrent que l’adjonction de Li+ seraient intéressante (inhibe la glycogène synthase kinase 3 ou GSK3).

Remarques : il ne s’agissait pas de mélancolie délirante et les 4 items de la BPRS sont inappropriés pour l’évaluation d’un effet psychotomimétique. On peut soupçonner les auteurs d’avoir cherché à le réduire puisque l’un d’entre eux est détenteur du brevet de l’utilisation de la kétamine dans la dépression. Mais il faut rappeler que la kétamine a justement été développée au début des années 60 pour entrainer moins d'effets psychotomimétiques que la phéncyclidine (PCP). Et même dans les modèles de psychoses, la symptomatologie productive n'a jamais été cliniquement significative. Il n'en est pas de même pour l'effet dissociatif.
Mentionnons quelques limitations : Il y a un certain nombre de biais dans l’étude (mixte de 2 études, 3 sujets reprennent un traitement dans la période de maintien) et le taux de rémission n’est pas mentionné.
Bien qu’intéressante, la kétamine n’entraine qu’un effet transitoire et son administration répétée pour maintenir l’effet est une étape qui reste à franchir. La neuro-toxicité du produit observée chez le rongeur ou le toxicomane n’est peut-être pas limitée aux fortes doses. Chez les toxicomanes, la kétamine affecte la mémoire à court terme et à long terme même en dehors des périodes d'intoxication. Mais il est possible que cet effet soit réversible à l'arrêt du produit. L'usage chronique de kétamine s'accompagne aussi de problèmes psychologiques (paranoïa, égocentrisme, addiction, flash back). Enfin elle entraine une inflammation sévère des voies urinaires dont la vessie (cystite aseptique ou interstitielle chronique) avec un risque de retentissement sur le rein.
Enfin, la kétamine n’est pas qu’un inhibiteur non compétitif du Rc NMDA (cf. fiche kétamine) ! Son effet directe et indirect sur le système dopaminergique en particulier pourrait tout autant expliquer le succès de cette intervention. Alternativement, plus que l'effet bloquant NMDA, ce pourrait être l'hyperglutamatergiequi en découle. L'hyper activation des récepteurs AMPA active la voie mTOR à l'origine d'une augmentation de la synthèse des protéines synaptique expliquant l'augmentation du nombre de synapses suite à une administration de kétamine.

Quoi qu'il en soit, la kétamine est efficace même chez des patients n'ayant pas répondu à une cure d'ECT. Est-ce la place que l'on peut dors et déjà envisager pour cette intervention ?

Murrough et coll. Rapid and Longer-Term Antidepressant Effects of Repeated Ketamine Infusions in Treatment-Resistant Major Depression. Biol Psychiatry. 2012