11/10/2013 13:42

Agomélatine entre efficacité et efficience

Catégorie : Lecture
Auteur : Jack Foucher
Une méta-analyse sur l'agomélatine ou comment dire que ça ne marche pas quand ça marche

Article proposé par Fabrice Berna, commentaire Jack Foucher

Introduction

La récente méta-analyse parue dans le BMJ a jeté un froid. Après avoir montré que même en incluant les études négatives l'agomélatine se distingue toujours du placébo, et rapporté qu'elle ne se distinguait pas du placébo en terme d'effet secondaire, les auteurs concluent :

We found evidence suggesting that a clinically important difference between agomelatine and placebo in patients with unipolar major depression is unlikely. There was evidence of substantial publication bias.Nous avons mis en évidence que l'agomélatine n'a probablement pas d'effet cliniquement important chez des patients soufrant de troubles dépressif majeur unipolaire. Il y avait des preuve pour un biais de publication substantiel.

Les auteurs n'ont-ils pas cédé à la facilité de taper sur un laboratoire pour que leur article fasse le buzz ?

Revenons à la raison et reprenons leur étude. Celle-ci est en effet bien venue puisqu'il semble que la précédente méta-analyse n'ait pris en compte que les études publiées. Les auteurs ont pu mettre la main sur l'ensemble des études soumises lors de la demande d'AMM européen et déterré 7 études non publiées sur un total de 13 études sélectionnées (10 étude d'efficacité sur 6 semaines en moyenne, et 3 de prévention sur 24, 34 et 52 semaines). La méthodologie de la méta-analyse est correcte, on peut juste s'étonner du parti pris dès la préparation de l'étude : une significativité de α = 0.01 était exigée pour valider le critère d'efficacité, de α = 0.05 pour accepter que les effets secondaires soient significatifs. Même si ces seuils sont arbitraires, ils sont pour le moins inhabituels.

Résultats

  1. Etudes d'efficacité (6 semaines, intervalle de confiance de 99% sauf pour effets secondaires IC de 95%) :
    • Sur la HAM-D (9 études, n ~ 3000) les patients sous agomélatine ont 1.51 points de moins que les patients sous placébo (intervalle de confiance de 99% : 2.29 - 0.73, p = 10-5). La taille de l'effet a été estimée à 0.18 (avec un intervalle de confiance à 99% entre 0.27 et 0.08)
    • En terme de réponse (réduction de 50% du score de dépression), l'agomélatine est supérieure au placébo RR = 0.87 [0.80, 0.94] (p < 0.0001).
    • En terme de rémission (HAM-D ≤ 8) en revanche, l'agomélatine ne se distingue pas significativement du placébo RR = 0.97 [089-1.05].
    • En terme d'arrêt du protocole du à une insuffisance d'efficacité, il y a significativement moins d'arrêt dans le groupe agomélatine RR = 0.6 [0.43-0.83] (p = 0.002).
    • Il n'y a pas plus d'effet secondaire signalé dans le groupe agomélatine par rapport au placébo RR = 0.98 [0.92-1.04] en faveur de l'agomélatine, pas plus qu'il n'y a de sortie de protocole pour cause d'effet secondaire RR = 0.9 [0.63-1.3] en faveur de l'agomélatine.
  2. Etude de maintien (24, 34, 52 semaines) :
    • Sur la probabilité de rechuter (3 études, n~1000 patients), l'agomélatine ne fait pas mieux que le placébo, le risque relatif est de = 0.78 (soit p = 0.32). Il y a cependant un problème avec ces études car elles sont trop hétérogènes pour que la conclusion soit fiable (p = 0.006). Malheureusement les auteurs ne sont pas allé analyser les études pour tenter de trouver la raison de cette différence.
  3. Dans les deux cas, il y avait un net biais de publication (seules les études positives étaient publiées).

Discussion

Au final si l'agomélatine doit encore faire ses preuves sur le long terme, elle est bien efficace en aigu. Alors pourquoi les auteurs disent-ils que ses effets sont non cliniquement significatifs ? Tout simplement parce qu'elle ne se distingue que de 1.5 point du placébo sur la HAM-D. Or les auteurs pensent qu'il faudrait que cette différence soit au moins de 3 !

Concernant la critique d'un biais de publication, elle est totalement justifiée, mais un peu spécieuse eut regard au contexte. D'abord parce que même des études académiques ne sont pas publiées lorsqu'elles sont négatives, cela prend trop de temps et passe dans des revues à facteur d'impact jugé insuffisants. C'est dommage, mais c'est ainsi. Et la présence d'une revue spécialisée dans les étude négative n'est pas près de changer la tendance. Ensuite, a ma connaissance, tous les laboratoires font cela, c'est déplorable, on devrait les inciter plus fortement à mettre ces études à disposition sur le web, mais c'est faire un mauvais procès à 1 laboratoire qui sert ici de bouc émissaire.

C'est là que notre analyse diverge de celle des auteurs : il semble que les auteurs veulent tirer une conclusion d'efficience sur la base d'études d'efficacité. Car ce sont des étude d'efficacité qui sont demandées par les autorités de santé. Elles ne sont pas faites pour une approche bayesienne : démontrer que la taille de l'effet est égale ou supérieure à une valeur x. Si pour passer devant les agences de régulation du médicament il fallait démontrer que le produit dépasse une taille d'effet de x, les études n'incluraient que des patients sévères, inclus dans des centres qui ne proposent aucune prises en charge autres et qui voient les patients le moins possible (cela permet de réduire l'effet placébo). De plus, fixer la valeur de x est loin d'être triviale, et la valeur de 3 avancée par les auteurs n'a aucune légitimité.
De plus, si on trouve que cette taille d'effet est insuffisante... on s'en contente pourtant depuis près de 30 ans que les IRS sont sur le marcher (taille d'effet < 0.2). Il en est de même pour les deux autres médicaments récemment approuvés aux USA contre la dépression (Vilazodone et Vortioxétine).
A noter que ces études ne sont pas faites non plus pour démontrer que le traitement permet une rémission, leur durée est trop courte pour cela.

A notre sens la plus belle preuve d'efficience du traitement est peut-être à chercher du côté de la proportion d'arrêt pour inefficacité : là l'agomélatine sort avec un bel effet, les patient sous agomélatine ont 70% moins de risque d'arrêter le traitement pour cause d'efficacité... Pas mal pour un médicament que les auteurs décrie comme étant inefficient.

Enfin en véritables cliniciens, si on discute de l'intérêt clinique d'un médicament, il faut intégrer le rapport bénéfice / risque... Et là, que nous dit leur étude : il est excellent en raison de l'absence d'effet secondaire significatif ! Difficile de trouver mieux pour l'ensemble des autres antidépresseurs. Aussi sur la base des données présentées dans cette étude et avec l'objectif d'optimiser le rapport bénéfice risque, on devrait conclure que l'agomélatine est un traitement de première ligne.

Cette conclusion doit cependant être modulée :

  • L'agomélatine pourrait être plus efficace que ce qui sort de l'étude parce que les échelles utilisées, par construction, ne sont pas sensibles à l'anhédonie. Or si effectivement elle a un impact préférentiel dessus comme le suggèrerait l'étude de Martinoti et coll. (2012) commenté dans ces news, cet effet n'a donc pas été pris en compte.
  • Mais l'agomélatine peut aussi avoir au moins un effet secondaire qui n'a pas été pris en compte dans cette méta-analyse : l'élévation des transaminases (~3% pour l'ensemble des études agomélatine d'après les autorités de santé, ~2% pour les IRS dans leur ensemble).

Quoi qu'il en soit, si une erreur de premier type (considérer comme active une molécule qui ne l'est pas) est en effet problématique parce qu'elle exposerait sana bénéfices des patients à des risques (effets secondaires), une erreur du deuxième type (considérer comme inactive une molécule qui l'est) est aussi problématique puisque cela enlève une chance d'un traitement à certains patients. Or l'agomélatine est efficace et a un excellent rapport bénéfice risque à court terme. Son point faible reste une démonstration un peu fragile d'un effet préventif à long terme.

Koesters et coll. Agomelatine efficacy and acceptability revisited: systematic review and meta-analysis of published and unpublished randomised trials. The British Journal of Psychiatry. 2013; 203: 179-187