Clifford W Beers (1878-1943)

Travail historique et mise en forme Jack R Foucher

"I must relate the history of another self--a self which was dominant from my twenty-fourth to my twenty-sixth year. During that period I was unlike what I had been, or what I have been since. The biographical part of my autobiography might be called the history of a mental civil war, which I fought single-handed on a battlefield that lay within the compass of my skull." (Chap 1, p.4) "Je dois relater l'histoire d'un autre moi – un moi qui a été dominant de ma 24ème à ma 26ème année. Durant cette période, j'étais différent de ce que j'ai pu être ou de ce que j'ai été depuis. La partie biographique de mon autobiographie pourrait être s'intituler "histoire d'une guerre civile mentale", que j'ai disputée d'une seule main et dont le champ de bataille se situait dans mon crâne."

Clifford Beers (1878-1943) a maqué l'histoire de la psychiatrie nord américaine. Ayant présenté un trouble mental et hospitalisé de longues années durant sa jeunesse, il a vécu et observé les mauvais traitements auxquels les patients étaient soumis. À sa sortie, il écrit "A Mind That Found Itself", ("Un esprit qui s'est trouvé", 1ère édition en 1908) dans lequel il décrit son trouble et les exactions dont lui ou ses compagnons d'infortune ont été les victimes. Le succès de cet ouvrage (25 éditions) va initier un grand mouvement en faveur de la santé mentale. Ce livre est accessible libre de droit sur ce site (ici). Vous pouvez soit le lire, soit utiliser le résumé ci-après pour essayer de cerner le diagnostic (cf. question).

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Histoire prémorbide

Beers est issu d'une famille de 5 enfants. Son père a 53 ans lorsqu'il nait. Il se décrit comme un enfant timide, il ose à peine parler aux personnes en dehors du cercle de famille restreint, il est empreint de religiosité et semble vouloir porter le poids des difficultés ou des peines familiales sur ses épaules (p.4). Adolescent, il se plonge dans le travail et détourne son regard des filles.(p. 5)

Alors qu'il a 16 ans (1894), son grand frère présente une première crise d'épilepsie symptomatique d'une tumeur cérébrale dont il décédera 6 ans plus tard (1900). Il prend à son compte la peur que son grand frère présente une crise en public (p.6).

Cette peur s'étend, et en novembre 1895 (17 ans), pendant une récitation en allemand :

"That hour in the class room was one of the most disagreeable I ever experienced. It seemed as if my nerves had snapped, like so many minute bands of rubber stretched beyond their elastic limit. Had I had the courage to leave the room, I should have done so; but I sat as if paralyzed until the class was dismissed." (p.6) "Cette heure dans la classe fut une des plus désagréable que je n'ai jamais vécu. Il semblait que tous mes nerfs s'étaient rompus, comme des élastiques tendus au delà de leur limites. Aurais-je eut le courage de quitter la pièce que je l'aurais fait; mais je suis rester assis paralysé jusqu'à ce que le cours s'arrête."

Cette expérience l'incite à limiter les cours en classe et à poursuivre autant que possible ses études à la maison. Il explique à ses professeurs ses difficultés à être interrogé en public prétextant le stress à la maison. Cela ne l'empêcha pas d'avoir des 0 à l'oral.

La préparation de son baccalauréat à Yale l'accapare totalement en plus d'une activité salarié pour payer ses études. L'examen en poche (19 ans ce qui était dans les temps à l'époque), il ne prend pas le temps de se reposer et se fait embaucher comme clerc chez un collecteur de taxe de New Haven. Puis au bout de 8 mois, il va a New York se faire embaucher comme clerc dans une compagnie d'assurance. Il se plaît à gagner de l'argent. Pendant toutes ces années, il décrit des états d'angoisse qui vont et viennent (p.7).

En 1900, une grippe le cloue au lit et il s'en sort très affaiblit et déprimé.

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Début du trouble

En juin 1900, l'angoisse le submerge à nouveau. Il parvient à la masquer à ses collègues de travail, mais le 15 il est forcé de s'arrêter. Il a la sensation d'une catastrophe imminente ("conscious that some terrible calamity was impending"p.7)

Il détruit des manuscrits qu'il espérait voir publier un jour, range dans un grand empressement toutes se affaire et rentre chez lui le 15. Mais le trouble ne se calme pas et les tremblements liés à l'angoisse lui faisaient penser qu'il souffrait lui aussi d'une épilepsie, une croyance qui tourne à l'obsession délirante (p.8). Ne pouvant plus supporter l'état de nerf dans lequel il était, il se met à élaborer des plans pour mettre fin à ses jours. Mais il ne dit rien à son entourage et fait tous les efforts du monde pour ne rien laisser paraître, même si le fait qu'il passe presque toute la journée au lit et qu'il ne parle pratiquement plus aurait du alerter les proches. Ainsi il faisait semblant de lire le journal qu'il ne pouvait plus comprendre en raison de son état d'effervescence. Il finit par choisir de se défenestrer de sa chambre qui se trouvait au 4ème étage en pensant s'écraser sur les dalles qui entouraient la maison. Le 23 juin 1900, le passage à l'acte est impulsif, dans l'idée de se libérer de cet état de tension intérieure ("It was now or never for liberation" – p.9)

Mais il donne a son saut une telle impulsion, que plutôt que d'atterrir sur le les dalles, il atterrit au delà dans l'herbe. Il s'en sort avec des fractures des deux pieds et des deux chevilles, mais sans traumatisme crânien ni perte de connaissance. Le dos ne semble avoir avoir souffert que de contusions.

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Premier traitement

Transporté à l'hôpital, les barres de sécurité sont prises pour des barreaux de prison. Le suicide étant considéré comme un crime, il pense que la police le torture en lui donnant à boire de l'eau salée (il semble avoir été fiévreux et sa soif était inextinguible), en lui rasant la jambe (cassée), en lui mettant un pansement autocollant sous forme de croix sur le front (perçu comme une dégradation). La brise sur son front est interprétée comme un équivalent de cette torture chinoise du goutte à goutte. Il devient de plus ne plus suspicieux. De plus, il a l'impression de ne plus être aux commandes de son cerveau, au point de ne plus pouvoir parler et semble n'avoir échanger que peu de mots et avec difficulté. Ses pensées s'enchaînent sans cesse, hors contrôle, ce qui entretient un sentiment de fatigue.

Il a l'impression d'entendre des chuchotements dont il ne perçoit que rarement le sens, ou des bruits de coups contre le mur qu'il prend pour le message d'esprits frappeurs (p.10).

Il décrit l'irruption de rêveries utilisant des bruits de l'environnement prise pour une forme de réalité (p.10). Bien que les premiers épisodes pourraient avoir été liés à la fièvre qui a suivit son traumatisme ou son opération, la poursuite de ces phénomènes alors essentiellement nocturne montre qu'ils appartiennent au trouble lui-même. Ces mauvais rêves s'accompagnent de terreur, comme lorsqu'il perçoit une écriture manuscrite sur les murs, qu'il ne peut déchiffrer (p.12), interprété comme des messages entre ses persécuteurs.

Il développe des idées délirantes de culpabilité par rapport à sa famille dont il pense avoir provoqué la disgrâce. Lors de son retour à domicile qu'il croyait impossible en raison de sa faute, il est confié à une infirmière qu'il prend pour une collaboratrice de la police chargée de le surveiller. Même son frère aîné, qui s'occupait de lui est pris pour la même raison comme un membre de la police. Méfiant, il finit par ne plus adresser la parole à tous les membre de son entourage. Les distortions perceptives se poursuivent et lorsque cela intéresse la nourriture, c'est interprété comme une tentative d'empoisonnement non pour le tuer mais pour entretenir son malaise.

Pour lui tout cela semble justifier, il se croit responsable de chaque crime dont il a connaissance.

L'état de tension dans lequel il se trouve est instable, il connaît quelques passage de calme, voir de bien-être ("For a few hours my mind was calmer than it had been" – p.12, "In my chamber of intermittent horrors and momentary delights,"– p.13). Durant ces moment plaisants, il perçoit des images et des sons de toute beauté (p.13).

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Le sanatorium

Au bout d'un mois à la maison, après qu'il eut récupéré physiquement, on l'amena dans un sanatorium. Tout au long du voyage, il avait l'impression que les gens faisaient semblant de ne pas le regarder, alors qu'ils étaient payés par la police pour le surveiller. Le papier qu'on lui demande de parapher à l'arrivée, correspondant vraisemblablement à une prise en charge, est méprise pour une autorisation de transfert de la police qu'il refuse de le signer dans un premier temps (p.14). Il restera hospitalisé 8 mois, et la souffrance sera intense les 4 premiers mois avant de diminuer.

Il entend des bavardages, il tente de déchiffrer les signes dans ses repas qu'il refuse souvent de manger. Tant et si bien qu'il est menacé d'être nourri de force, ce qui suffit parfois à le décider d'autant qu'il ressentait une forte faim (p.16). De façon générale, il dit "refuser" d'obéir quelque soit l'ordre, ce qui lui vaudra de mauvais traitements de la part d'un des "gardiens" (la plupart semble ne pas avoir de diplôme d'infirmier) qui lui crachera dessus. Son impossibilité de parler l'empêchera de protester (p.17). Ce refus fait qu'il ne sortira pas de son lit durant un mois et demi alors qu'il aurait pu le faire (p.17, 19), ce qui retardera sa rééducation, ou qu'il ne prend pas les sucres sur lesquelles ont été versées quelques gouttes de médicaments. Ces refus semblent régulièrement motivées par des idées délirantes. Ainsi pour la marche, il s'agissait d'une torture des policiers, pour le refus des médicaments, il imagine que ces derniers sont plein du sang de ses proches (un poison mortel aurait été une délivrance, p.18). Il remarque cependant que ces idées délirantes étaient extrêmement changeantes (p.19). Ainsi le jour suivant, accepter de prendre le sucre entraînerait la souffrance ou la mort d'une proche par exemple.

Même le surveillant qui manifestait envers lui de la gentillesse était haï, car pris pour un "détective".

Durant les derniers mois, il semble s'être remis de ses angoisses, il parvient même à parler avec ses surveillants, voir blaguer avec l'un d'eux (p.21). Mais persiste un sentiment de "dépression", un terme générique qu'il semble utiliser en fait pour caractériser aussi son anxiété. Ainsi cette "dépression" ne l'empêche pas de lire et de croire que toutes ces publications n'ont été écrites que pour lui, et de ressentir cette même peur lorsqu'il le faisait comme si cela lui était interdit. Il ne souffrait apparemment pas d'anhédonie, puisque la lecture lui apportait du plaisir (p.22). Il dit avoir bien dormi durant toute cette période (p.30), il rêvait seulement plus intensément.

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Dans la famille de l'infirmier

Le "surveillant" qui s'était pris d'amitié pour lui décide le faire sortir du sanatorium et de le prendre chez lui (en mars 2001, soit 9 mois après la défestration). Il ne lui en est pas plus reconnaissant le prenant toujours pour un ennemi. Sur le plan comportemental Beers se dit "apathique" et reste mutique. Il présente toujours des hallucinations fugitives, ou des illusions, ainsi il lui semble entendre une petite fille lui dire "traître" alors qu'il se promène en ville accompagné de son "gardien" (p.22). Enfin il reste très interprétatif :

"It was not surprising that a piece of rope, old and frayed, which someone had carelessly thrown on a hedge by a cemetery that I sometimes passed, had for me great significance" (p.22) "Il n'était pas surprenant qu'un morceau de corde, vieux et usé, lancé négligemment sur une haie près d'un cimetière, auprès duquel je passait quelques fois, était pour moi d'une grande signification "

Et c'est ce qui lui fait croire que toutes les personnes qui viennent le voir sont des imposteurs :

""Relatives and friends frequently called to see me.[...] I spoke to none, not even to my mother and father. For, though they all appeared about as they used to do, I was able to detect some slight difference in look or gesture or intonation of voice, and this was enough to confirm my belief that they were impersonators, engaged in a conspiracy, not merely to entrap me, but to incriminate those whom they impersonated" (p.23) ""Les parents et les amis demandaient fréquemment à me voir [...] Je ne parlais à aucun, pas même à ma mère et à mon père. Bien que leur apparence était celle qu'ils avaient d'habitude, je pouvais détecter de petites différences dans le regard, la gestuelle ou l'intonation de la voix, et c'était suffisant pour confirmer ma croyance qu'ils étaient des imposteurs engagés dans une conspiration pas seulement destinée à me piéger, mais aussi à piéger ceux qu'ils imitaient."

Au bout de 3 mois, il retourne dans sa famille qu'il continu de prendre pour des imposteurs, il pense sa "vraie" famille bannie, jetée en prison et leur biens confisqués par sa faute (p.24).

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L'institution psychiatrique privée

On le pense inguérissable. Il est déclaré incapable majeur et placé sous la tutelle de son frère aîné. Rapidement (le 11 juin 1901, quasiment 1 an après la TS), il est envoyé dans une autre institution où il séjournera 14 mois. Là encore il pense que les autres patients ne sont que des "détectives" qui ne font que feindre la folie (p.25). Sa "dépression" consiste surtout en une anxiété majeure, exacerbée par tout changement dans l'environnement comme lorsque la cloche sonne (p.25) ou par une interprétation de remarque banales (je l'ai laissé en anglais, le double sens du mot étant difficile à traduire) :

"My eldest brother, whom I shall refer to hereafter as my conservator, called often. He seldom failed to use one phrase which worried me.
"You are looking better and getting stronger," he would say. "We shall straighten you out yet."
To be "straightened out" was an ambiguous phrase which might refer to the end of the hangman's rope or to a fatal electric shock."
 (p.26)

Avec le temps, et la gentillesse de l'entourage, sa méfiance diminue, les patients ne sont plus pris pour des "détectives". Il finit par reparler et en juin 1902 (2 ans après la TS) il semble que son discours soit normalisé (p.26). Pour autant certaines de ses ses idées délirantes persistent comme en témoigne la conversation qu'il rapporte avec un autre patient :

"I would talk to him on almost any subject, but would not speak about myself. At length, however, his admirable persistence overcame my reticence. During a conversation held in June, 1902, he abruptly said, "Why you are kept here I cannot understand. Apparently you are as sane as anyone. You have never made any but sensible remarks to me."
Now for weeks I had been waiting for a chance to tell this man my very thoughts. I had come to believe him a true friend who would not betray me.
"If I should tell you things which you apparently don't know, you would understand why I am held here," I said.
"Well, tell me," he urged.
"Will you promise not to repeat my statements to any one else?"
"I promise not to say a word."
"Well," I remarked, "you have seen certain persons who have come here, professing to be relatives of mine."
"Yes, and they are your relatives, aren't they?"
"They look like my relatives, but they're not," was my reply.
My inquisitive friend burst into laughter and said, "Well, if you mean "that", I shall have to take back what I just said. You are really the craziest person I have ever met, and I have met several."
"You will think differently some day," I replied; for I believed that when my trial should occur, he would appreciate the significance of my remark. I did not tell him that I believed these callers to be detectives; nor did I hint that I thought myself in the hands of the police." (p.26)
"Je lui parlerais de presque n'importe quel sujet, mais ne parlerais pas de moi. A la longue, pourtant, sa patience admirable a surmonté ma réticence. Pendant une conversation tenue en juin de 1902, il a soudainement dit, "J'ai du mal à comprendre pourquoi vous êtes gardés ici. Apparemment vous êtes aussi sensés que n'importe qui. Vous ne m'avez jamais fait que des remarques sensées."
Pendant les semaines j'avais attendu une chance de dire le fond de ma pensée à cet homme. J'étais venu à le croire un véritable ami qui ne me trahirait pas.
"Si je devrais vous dire des choses que vous ne savez apparemment pas, vous comprendriez pourquoi je suis tenu ici," ai-je dit.
"Bien, dites-moi," dit-il pour m'inciter.
"Promettrez-vous de ne pas répéter mes dires à qui que ce soit ?"
"Je promets de ne pas dire un mot."
"Bien," ai-je fait remarqué, "vous avez vu que certaines personnes qui sont venues ici, ont prétendues être de mes parents."
"Oui, et ce sont vos parents, n'est-ce pas ?"
"Ils ressemblent à mes parents, mais ce n'est pas eux," répondis-je.
Mon ami inquisiteur part alors d'une grand éclat de rire et dit, "Bien, si vous penser cela, je devrai revenir sur ce que je vines de vous dire. Vous êtes vraiment la personne la plus folle que je n'ai jamais rencontré, et j'en ai rencontré beaucoup." 
"Plus tard vous penserez différemment," ai-je répondu; car j'ai cru que quand mon procès allait se tenir, il comprendrait la signification de ma remarque. Je ne lui ai pas dit que je croyais que ces visiteurs étaient des inspecteurs; je n'ai pas non plus laissé entendre que je pensais être dans les mains de la police."

Ainsi sa suspicion l'empêchait de partager ses idées avec d'autres et particulièrement avec les médecins, toujours considérés comme des policiers ou des membres des services secrets. Cela ne l'empêche pas de guetté encore toute opportunité de mettre fin à ses jours; Son désire de mourir semble essentiellement motivé par le désir de ne pas rajouté un procès pour crime (délire) à l'infamie qu'il a causée à sa famille.

"I have said that I did not desire death; nor did I. Had the supposed detectives been able to convince me that they would keep their word, I would willingly have signed an agreement stipulating on my side that I must live the rest of my life in confinement, and on theirs that I should never undergo a trial for crime." (p.28) "J'ai dit que je ne désirais pas mourir. Si les supposés inspecteurs avaient été capables de me convaincre que je n'aurais pas de procès pour crime, et qu'ils tiendraient parole, de mon côté j'aurais volontiers signé un accord stipulant que je dois vivre le reste de ma vie en prison."

Malgré quelques préparatifs parfois avancés, il n'est jamais repassé à l'acte.

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Le "switch"

Tous ses soupçons ne s'effondreront qu'après qu'il ait envoyé une lettre à son frère à l'insu de tous, en lui demandant de l'amener avec lui lorsqu'il viendra le voir, pour s'assurer qu'il est bien celui qu'il prétend être (p.30). Son frère s'exécute. L'effondrement est total et instantané, remplacé par l'impression d'avoir été touché par la grâce, ce qui s'accompagne d'un sentiment de joie intense. Cela se passe le 30 août 1902, 798 jours après sa TS (quasiment 2 ans et 3 mois), il en parle comme d'une seconde naissance, d'une libération (p.31).

Ce jour là, il parle à son frère comme il n'a jamais parlé, il explique que ses cordes vocales et ses lèvres, ayant souffert du manque de pratique ne suivaient pas. Il se sent plein de nouvelles capacités. La conversation semble avoir été cohérente, sans qu'une idée délirante n'aient été émises, les anciennes avaient toutes disparues, et les idées de grandeurs qui allaient suivre n'étaient pas encore apparues. Son frère pensait même pouvoir le faire revenir au domicile dans les semaines qui suivaient.

Les jour suivant, il a l'impression de ré-apprendre à manger, marcher, et surtout parler. Il semble avoir présenté une véritable logorrhée et une bonne humeur excessive qu'il nome comme les psychiatres le lui ont appris : "élation". Il est infatigable. Il interprète à présent chaque événement, même le plus insignifiant comme un message de Dieu et échafaude de grands projets humanitaires (p.32). Le lendemain même de son revirement, il assiste à sa première messe volontairement depuis plus de 2 ans. Alors qu'il fuyait ses amis auparavant, il renoue fébrilement contact avec eux. Il écrit avec une très grande facilité (1800 mots/h) de longues lettres au point d'épuiser en quelques jour les réserves de l'institution et de finir par rédiger sur des bandes de papier kraft des lettres de 8m de long. Malgré la vitesse, les lettre ne semblent pas incohérentes, mais présentent des "digressions". Il se sent irrésistiblement l'âme d'un artiste et veux devenir écrivain et dessinateur pour illustrer ses propres ouvrages (p.39). Il tente de rentrer en conversation avec d'autres patients. Parfois, si ses demandes initialement formulée poliment n'étaient pas suivit d'effet rapidement, il pouvait devenir véhément (p.33). Mais il suivait aussi les ordres qu'on lui intimait. Même alors que les lumières étaient éteintes, son esprit ne dormait pas et ne cessait de fonctionner.

Son projet humanitaire étant d'améliorer le sort des patients psychiatriques, il décide (dit-il) de se faire transférer dans le service accueillant les patients violents (p.34) et pour cela menace verbalement le médecin lorsqu'il essuie un refus (le 19 septembre). Il dit alors avoir passé le temps à enquêter et à rédiger des lettres aux autorités pour les informer de ce qui se passait dans les services de psychiatrie ou de nouveaux psaumes dans sa bible mais toujours avec l'idée d'informer les décideurs. Puis devant un nouveau refus malgré la menace de faire un trou dans le mur, il utilise une chaise pour casser une vitre en disant avoir pris le médecin au mot lorsque celui-ci lui avait ironiquement rétorquer d'essayer. Il dit en fait avoir fait cela pour attirer l'attention d'un des surveillants (p.36). Il semble qu'on ne lui ait pas tenu rigueur de son geste et que le superviseur ait reconnu le manque de psychologie dont le médecin qui était son interlocuteur aurait fait preuve à son égare, au point de le réintégrer dans son ancien service. Il lui lance alors régulièrement des pics pour le provoquer, mais ce dernier décide alors de l'éviter ou de ne pas y répondre. Mais son comportement finit par agacer proprement tout le personnel.

Il se prend alors d'amitié pour un patient, hospitalisé pour excès de boisson, qu'il voit comme un artiste échoué au mauvais endroit. Il juge que l'hospitalisation sous contrainte dont son ami fait l'objet, injuste. Le pensant sans courage, il décide le prendre sous son aile. Il trouve que le traitement qui lui est infligé est dégradant (on l'oblige à une marche d'exercice alors qu'il n'en a pas l'envie). Il menace d'agresser physiquement le surveillant qui demande à ce patient de sortir, et devant l'insistance de ce dernier, le coup part et l'escarmouche dégénère en bagarre (p.38).

Il est isolé des autres patients, mais comme sa fièvre de composition littéraire et picturale ne cessait pas, le médecin décide de le priver de support et de ne plus le laisser sortir de sa chambre (du 18 octobre au 7 novembre). Confronté à tant de restrictions, il finira par déclencher une nouvelle bagarre qui le mènera à nouveau dans le service des patients violents, mais cette fois-ci sans le désire d'y aller (p.40). Il semble faire preuve d'un comportement agressif et frondeur et alors qu'il semble récolter ce qu'il a semé, il proteste de ses mauvais traitements. Voulant parler au médecin et devant le refus de ses surveillant d'obtempérer, il simule une tentative de suicide, et s'amuse de sa bonne blague (p.41). Son agitation lui vaudra de porter la camisole de force et d'être placé dans une cellule capitonnée, la chambre d'isolement de l'époque (l'alternative populaire était de rendre les patients agités confus par de fortes doses de scopolamine) (p.43,45). Son refus de prendre son traitement en rétorsion par rapport au refus du médecin de prendre ses demandes en considération, lui vaudra de les avaler de force par un tube introduit dans son oesophage (p.46). Beers pense qu'une bonne part de ces mauvais traitements étaient en quelques sorte une façon de la punir. Il faut dire qu'il ne manquait aucune occasion pour taquiner ou invectiver le médecins et ses surveillants.

Un des leitmotiv de Beers et ce qu'il cherche à démontrer dans son livre, est que ses excès comportementaux étaient alors dues en grande partie à des réponses inadaptés de la part du personnel soignants : violence, punition, mesures de rétorsion sont à chaque fois vécues comme une injustice commise à son encontre ou à l'encontre de ses compagnons d'infortune. Dès lors que la réponse des soignants est adapté et qu'il n'y a pas de chicaneries inutiles, son comportement ne présenterait pas les mêmes excès, comme cela se passera lors de son second épisode. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Bien qu'il dise ne pas avoir été incohérent, il admet que son discours était pour le moins digressif au point de ne pouvoir expliquer l'injustice de sa condition (camisole, isolement) à son frère qui lui rendait visite :

"At such times my pent-up indignation poured itself forth in such a disconnected way that my protests were robbed of their right ring of truth." (p.45) "À ce moment, mon indignation contenue s'est déversée en un discours tellement décousue que mes protestations ont été privées de leur accent de vérité."

Mais au bout de 3 semaines, devant l'absence d'effet du traitement, et peut-être parce qu'il avait flairé l'antagonisme grandissant avec le médecin, son tuteur (frère aîné) décide de le faire transférer dans un hôpital publique (p.47).

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L'hôpital publique

Alors qu'il était attaché avant de partir, il se comporte normalement dans le nouvel hôpital et il en fait un argument soutenant la thèse que son état de rage précédent n'était du qu'au manque de psychologie de ses soignants. Sa graphorrhée et sa logorrhée se poursuivent. Mais il semble capable de la contrôler, ainsi, piqué au vif par une remarque sur sa loquacité, il refuse de parler durant toute une journée. Il avait passé l'acmé de sa "manie", et restaient de violentes fluctuations (p.48). Mais il avait toujours l'idée d'une réforme des institutions psychiatriques et en avait largement dévoilé les plans. Dans ce cadre, il se devait de visiter le service des personnes violentes de son nouvel établissement, et dit que cette perspective ne l'enchantait guerre eut égare à son passé récent. Il en parle comme le sacrifice de sa personne pour cette mission qu'il dévoile à son frère, d'autres patients mais aussi aux surveillants.

Pour mériter son transfert, il se barricade une nuit dans sa chambre (p.49,50). Il présentait une hyperactivité telle qu'il avait besoin d'une portion de nourriture supérieure à la normale (p.50). Il est transféré dans le service des patients violents.

Durant son enfermement dans une petite cellule peu confortable, il décrit une telle "pression d'activité", qu'il passait une partie de son temps à déchirer une carpette de sol, seul mobilier qui lui servait de couchette, en tout petit morceau (p.51). Il existe aussi une "pression de créativité". En plus d'un forte activité épistolaire et picturale, souvent à caractère religieux (lorsqu'elles ont été possibles, cf. exemple p.60), il pense pouvoir résoudre les problèmes mathématiques les plus compliqués et croit avoir trouvé le moyen de défier la gravité (p.52). Il entreprend encore d'inventer une machine volante qui le rendra riche pour lui permettre de réaliser de nombreux projets humanitaires (p.60, 61). Il tente de faire le plus de bruit possible et rentre pour cela en résonance avec un autre patient dans le même état d'exubérance que lui (p.52). Il élabore des plans pour s'évader, se surtout pour emmener avec lui les autres patients, ses compagnons. Il continue son travail d'écriture détaillant tous les sévices dont lui ou les autres patients sont victimes, et ce travail semble connu de tous, puisque les patients viennent témoigner et les gardiens après avoir violenté un homme devant ses yeux lui aurait lancé de ne pas oublié de mentionner cela dans ses écrits (les pages 53 à 58, sont assez pénibles à lire tant les sévices sont outrageants). A noter que le plus souvent, bien qu'il gratifie ses gardiens de brute, il leur reconnaît des circonstances atténuantes en incriminant surtout les conditions d'exercice pour leur comportement et leur pardonne (p.66). Il aurait aussi avoir régulièrement informé le médecin responsable des pratiques du service. Il quitte le service destiné aux patients violents début mars 1903 (il a écrit 1902 ? – p.62).

Le 12 mars 1903, voyant que les lettres qu'il avait adressé aux médecins et au directeur de l'institution étaient restées lettres mortes pour sa croisade contre les mauvais traitements en psychiatrie, il écrit au gouverneur de l'état. Les détails qu'il en donne montre qu'il ne doutait pas de son bon droit et qu'il n'avait peur de rien. De plus, il traite le gouverneur de haut pour une personne dans sa condition en le menaçant d'en référer au président des États Unis (rien de moins). Mais il montre aussi qu'il était conscient en bonne partie des ses excès qu'il tente d'atténuer ou de justifier dans sons courrier (p.63-65). Il semble qu'après s'être vanté d'avoir fait passer cette missive à l'insu de la censure des médecins, les surveillants violent ont été punis et que les mauvais traitements ont cessé pour un temps dans le service des patients violents (p.65).

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Intervalle libre

Après plusieurs sorties d'essai dans sa famille durant l'été 1903, il sort définitivement le 10 septembre 1903. Bien qu'il lise au début beaucoup sur les techniques artistiques, son envie d'embrasser cette profession s'évanouit comme elle est venue (p.66). Il reprend rapidement sa vie d'avant, et son retour à New York initialement pour s'inscrire dans une école d'art ranime en quelques semaines sa flamme pour le monde des affaire (p.67) et il retrouve une place dans la même entreprise qu'il avait quitté 3 ans plus tôt (p.68).

Il dit ne pas avoir oublié son projet, dont il parle à l'occasion avec des amis, mais explique que pour être crédible, il lui fallait d'abord consolider sa position, donner satisfaction à son employeur, montrer un équilibre.

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Second épisode

Puis, suite à la lecture des misérables de Victor Hugot, et à un compliment sur son travail de la part de son patron (reconnaissance d'une forme de crédibilité ?), il présente un revirement de ses objectifs de vie en une semaine (fin décembre 1904). Son travail ne lui plaît plus, il pense qu'il y perd son temps et qu'il doit se consacrer tout entier à son projet humanitaire (p.69). Il rend visite à deux instituions dans lesquelles il avait précédemment séjourné et discute de ses idées avec le directeurs et les médecins. Alors que sur le moment il ne remarque rien, il semble que son discours soit passionné, mais seulement lorsqu'il parle du projet :

"Only when I discussed my fond project of reform did I betray an abnormal stress of feeling. I could talk as convincingly about business as I had at any time in my life; for even at the height of this wave of enthusiasm I dealt at length with a certain banker who finally placed with my employers a large contract." (p.69) "Je ne trahissais un excès anormal de sentiments que lorsque je discutais de mon projet de réforme. [A côté], je pouvais parler d'affaires de façon convaincante comme à n'importe quel autre moment de ma vie; ainsi, même à l'acmé de ma vague d'enthousiasme, j'ai négocié longuement avec un certain banquier qui a finalement signé un gros contrat avec mes employeurs."

Il rend visite au président de l'université de Yale lui exposant son projet et son envie d'aller le défendre à Washington, ce qu'il l'encourage à ne pas faire, tendant à montrer que son exaltation lorsqu'il parlait de ce thème n'échappait pas non plus à des non psychiatres. Il se lance dans la rédaction de son projet de réforme et écrit à nouveau beaucoup avec aisance. Ses écrit recèlent quelques passages grandiloquents (p.69). Il veut écrire un livre qui soit un plaidoyer pour un meilleur traitement des personnes affligées par un trouble mental, comme "la case de l'oncle Tom" a été un plaidoyer contre l'esclavage. Bien que cela ait sans doute semblé irréaliste à certaines des personnes, dont des psychiatres, auxquels il en a parlé à l'époque, reste que son livre a effectivement eut un grand succès (25 éditions) et les effets escomptés (une vague pour la santé mentale en Amérique du Nord). Il émets des lettres, parle avec enthousiasme, et son frère reconnaît au bout de quelques jours les symptômes d'une "élation" et lui force la main pour qu'il accepte d'être hospitalisé de son propre chef (il semble que les symptômes soient réapparus en 1 semaine) (p.71). Il a suffisamment de recul pour préfèrer cette modalité plutôt qu'une hospitalisation sous contrainte qui l'aurait amené à être hospitalisé dans un hôpital publique (celui qu'il avait quitté quelques 18 mois plus tôt), ce qui aurait ruiné tous ses efforts de réinsertion.

Durant son hospitalisation (5 janvier 1905), il présente à nouveau une pression d'écriture. Mais les idées de grandeurs sont absentes, seule la volonté de faire triompher son projet humanitaire est présente (p.73). La pression d'écriture diminue rapidement, et fait place à une écriture certes plus difficile, mais plus raisonnée des premiers brouillons de son ouvrage. Bien qu'il reste hospitalisé, il semble pouvoir masquer sans difficulté son élation résiduelle (p.74). Connaissant les rouage de l'institution il accepte de plier l'échine lorsque cela est nécessaire, fait confiance au médecin et aux surveillants. Le mois suivant (février 1905) il reprenait un voyage d'affaire et en vue d'écrire son livre, il pratique l'écriture et finit par écrire avec aisance sans que cela ne s'accompagne d'autre symptômes.
Il avait patiemment noté chacun de ses symptômes lors de sa précédente hospitalisation et se servait de cette connaissance pour monitorer son état (p.77).

Aider des cahiers dans lesquels il avait noté tout ce qu'il avait vécu, il se met à écrire son livre en été 1905. Il le fait relire à qui le veut bien. C'est William James (le psychologue), qui lui fait cette critique élogieuse :

"July 1, 1906.
DEAR MR. BEERS:
Having at last "got round" to your MS., I have read it with very great interest and admiration for both its style and its temper. I hope you will finish it and publish it. It is the best written out "case" that I have seen; and you no doubt have put your finger on the weak spots of our treatment of the insane, and suggested the right line of remedy. I have long thought that if I were a millionaire, with money to leave for public purposes, I should endow "Insanity" exclusively.
[...] Your report is full of instructiveness for doctors and attendants alike.
The most striking thing in it to my mind is the sudden conversion of you from a delusional subject to a maniacal one--how the whole delusional system disintegrated the moment one pin was drawn out by your proving your brother to be genuine. I never heard of so rapid a change in a mental system.
You speak of rewriting. Don't you do it. You can hardly improve your book. I shall keep the MS. a week longer as I wish to impart it to a friend.
Sincerely yours,
WM. JAMES. (p.78)
"1er juillet 1906
CHER M. BEERS :
Ayant finalement pu me plonger dans votre manuscrit, je l'ai lu avec un très grand intérêt et admiration tant pour son style que pour sa tempérance. J'espère que vous le finirez et le publierez. C'est la meilleure description de "cas" que j'ai vu; et vous avez sans doute mis votre doigt sur les faiblesses de notre traitement de la maladie mentale et avez suggéré une bonne orientation pour y remédier. Je pense depuis longtemps que si j'étais millionnaire, avec de l'argent à dépensé pour des oeuvres humanitaires, je devrais subventionner exclusivement les troubles mentaux.
[...] Votre compte rendu sera très instructif pour les docteurs et les gardiens.
La chose qui m'a le plus frappé, est la conversion soudaine entre votre état délirant et votre état maniaque - comment le système délirant a pu s'effondrer intégralement au moment où votre frère vous prouve qu'il est bien celui qu'il prétend être. Je n'ai jamais entendu parler d'un changement aussi rapide de construction mentale.
Vous parliez de réécrire (votre livre). N'en faites rien. Il vous sera difficile de l'améliorer. Je garderai votre manuscrit une semaine de plus pour le transmettre à un ami.
Bien à vous,
WM. JAMES."

Ce fut le début d'une relation entre les deux hommes.

Le livre connaîtra comme nous l'avons déjà signalé un grand succès (25 rééditions). Beers ne s'arrêtera pas là et il fondra le "National Committee for Mental Hygiene". Enfin, tout en poursuivant sa carrière d'homme d'affaire, Beers créera le premier hôpital psychiatrique offrant des soins ambulatoire. Il souffrira encore de quelques épisodes d'"élation" à la fin de sa vie.

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Question

Vous pouriez prendre le temps de répondre à la question suivante :

  • Quelle est / sont votre / vos proposition(s) / hypothèse(s) diagnostique(s) en fonction de la CIM-10 et du DSM4R (sous forme comprise) ?
  • Et pour ceux qui souhaites aller plus loin, en fonction de la classification de Leonhard (WKL).

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