Gérard de Nerval (1808-1855)

Travail historique et mise en forme Jack R Foucher

"Je vais essayer, [...] de transcrire les impressions d'une longue maladie qui s'est passée tout entière dans les mystères de mon esprit; - et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées; il me semblait tout savoir, tout comprendre; l'imagination m'apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues?..." (p.4)
Ce sont par ces mots que Gerard Labrunie, alias de Nerval débute le récit autobiographique de son trouble psychique : "Aurélia". Nous vous proposons un apperçu de cette lecture sous l'angle du psychiatre. Nous proposons ce document en intégralité sous format pdf. Mais vous le trouverez aussi sur plusieurs bibliothèques électroniques.
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Biographie

GdN est né à Paris le 22 mai 1808. Il ne connaîtra pas sa mère morte lorsqu'il avait 2 ans des suites d'une fièvre contractée alors qu'elle suivait son mari, médecin des armées napoléoniennes. Ce dernier sera fait prisonnier après avoir été blessé le 10 décembre 1812 lors de la retraite de Russie. Il sera élevé par un grand oncle et son grand père maternel jusqu’à l’âge de 7 ans dans la commune de Ver près de Mortefontaine dans l’Oise. Il tirera son nom de plume "de Nerval" à partir d’un clos du même nom qui appartenait à sa famille.

Il est repris par son père de retour de captivité. A Paris, il fréquente le Collège Charlemagne où il se lie d’amitié avec Théophile Gautier. La traduction du "Faust" de Goethe en 1927 le fait entrer dans les cercles littéraires parisiens. En 1935, il engloutit les 30 000 francs d'héritage de son grand-père dans l'aventure d'un journal de critique théâtrale, "Le Monde dramatique", ce qui le laissera endetté pour longtemps. Nerval manoeuvre pour obtenir des missions auprès des ministères, multiplie les articles pour les journaux, se propose de faire le nègre pour Alexandre Dumas. Poussé par la nécessité de rembourser des traites, il travaille comme un galérien. De plus, en 1936, il rencontre une actrice : Jenny Colon, dont il tombe éperdument amoureux. Cependant cette dernière se tourne vers un autre homme et il se distrait de son chagrin amoureux en parcourant l'Europe. C'est elle qui se cache sous le nom d'Aurélia.

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Histoire de la maladie

C'est dans un contexte de grande fatigue qu'il présente pour la première fois des troubles mentaux en mars 1941 (il a 32 ans). 
A des amis, il affirme être le fils du roi Joseph, frère de Napoléon 1er ou un descendant de l'empereur romain Nerva ! On dit qu'il promena au Palais-Royal un homard vivant au bout d'un ruban bleu. Il essaya aussi de voler comme un oiseau dans une rue de Paris. Il battait des bras, les yeux au ciel. La maréchaussée l'interpella, parce qu'il s'était, pour monter dans les nues, séparé de ses habits terrestres.
Il est alors hospitalisé dans la maison de santé du Dr. Blanche. A cette époque, cette institution privée était le moyen pour le Gotha parisien d'écharper à l'hospitalisation asilaire. C'est le Dr Esprit Blanche qui s'occupe alors de lui. Il pose le diagnostic de manie aiguë, probablement curable, mais il modifie ensuite son pronostic, en juin de la même année et décrète le poète incurable. C'est en cette occasion que GdN dessinera sur les murs avec du charbon (cf. première partie, VII).
Mais sa lucidité revient. Cependant sa réputation est ruinée. Il doit partir, "sortir de là par une grande entreprise qui effaçât le souvenir de tout cela et me donnât aux gens une physionomie nouvelle". Jenny Colon, son amour déçu, décède en juin 1842, plus rien ne l'attache alors à Paris. En décembre 1942, il part avec Joseph de Fonfride, un passionné d'égyptologie qui accepte de prendre en charge les frais de voyage. C'est la tournée de 1943 en Orient (Egypte, Turquie, Liban). A son retour, il collabore à "La Revue des deux Mondes" où paraissent notamment les souvenirs de ses voyages orientaux mi-réels, mi-imaginaires.

Il est probable qu'il ait fait quelques épisodes n'ayant pas menés à une hospitalisation, d'autant qu'il se livre alors à la consommation du cannabis. Il sera réhopitalisé dans la clinique du Dr Blanche d'août 1953 à 1954. C'est Emile Blanche, le fils d'Esprit Blanche, qui s'occupe alors de lui (cf. chapitres V et VI de la seconde partie).

Détaillant les signes précurseurs de la crise (printemps 1953), Gérard de Nerval note que ceux-ci coïncident avec la rédaction de l'une de ses meilleures nouvelles (il s'agit de Sylvie). Il relate son insomnie, ses déambulations nocturnes, hallucinations, violences qui s'enchaînent, nécessitant son internement, le 27 août 1853.
Il décrit dans "Aurélia" ses impressions en arrivant à la clinique. Les habitués des lieux reconnaîtraient : la terrasse, l'idole japonaise, le pavillon chinois. Mais tout cela est fortement empreint d'un sens propre. La chambre de Nerval, qu'il meublera avec son propre mobilier, donne sur la rue de la Traînée. Assez fréquentée, celle-ci fournit au poète un dérivatif plaisant.
GdN, note dans certains passages les divers traitements qui lui sont imposés. Il s'agit surtout des promenades et de l'hydrothérapie. Il décrit aussi l'usage de la camisole de force et de la chambre d'isolement.
A un moment donné, Emile Blanche a l'idée d'intéresser Nerval au sort d'un jeune patient, qui balance entre la vie et la mort.

En mai 1854, Emile Blanche accorde à Nerval l'autorisation d'effectuer un voyage en Allemagne. Malgré cela, à partir d'octobre 1854, GdN se plaint du joug imposé par Blanche. Il réclame le droit de se rendre à la Bibliothèque impériale, et plus spécialement l'autorisation de publier, pour lui permettre d'assumer les frais relatifs au séjour effectué par intermittences, dans la Maison du docteur Blanche (3000F/an, une fortune pour l'époque). A la demande de Nerval, Jules Janin et maître Godefroy prient le docteur Blanche de bien vouloir autoriser la sortie du poète (9 octobre 1854).

Le Dr Blanche accepte, bien qu'une lettre de GdN semble montrer une nouvelle exacerbation des troubles (lettre du 17 octobre 1854 adressée au Dr Blanche) :

Mon cher Emile,
Laissez-moi vous appeler encore de ce nom, quoique mon père, qui est très méfiant, avec justes raisons de l'être, m'ait dit que vous m'en vouliez peut-être de vous traiter en jeune homme, en camarade. Vous êtes jeune ! en effet et j'oublie l'âge qui nous sépare, parce que j'agis encore en jeune homme, ce qui ne m'empêche pas de m'apercevoir que j'ai bien des années de plus que vous. Je vous ai vu si jeune chez votre père que j'abusais même de quelques avantages et de mon état présumé de folie pour aspirer à l'amitié d'une jeune dame dont le chat, qu'elle portait toujours dans son panier, m'attirait invinciblement. Un jour que je l'avais embrassée par surprise, elle m'a dit, comme le général Barthélémy, en pareille occasion : Aspetta ! traduction française : Nous n'en sommes pas encore là !
[...]

J'ai peut-être plus de protections à faire mouvoir que vous n'en rencontrerez contre moi. Je ne sais pas si vous avez trois ans ou cinq ans, mais j'en ai plus de sept et j'ai des métaux cachés dans Paris. Si vous avez pour vous-même le G**** O***** je vous dirai que je m'appelle le frère terrible. Je serais même la soeur terrible au besoin. Appartenant en secret à l'Ordre des Nopses, qui est d'Allemagne, mon rang me permet de jouer carte sur table... Dites-le à vos chefs...

On retrouve aussi des éléments inquiétant dans une lettre écrite à son ami Arsène Houssaye, rédigée quelques jours après sa sortie :

Je n'étais pas là quand vous êtes venu.
Vous aurez été bien content toutefois de me voir sorti. Aujourd'hui je vais plus loin, demain sans doute j'irai voir Janin. Dites-lui ce qu'il faut. Il n'y a pas besoin de le remercier. - Je suis fol. - Je lui porterai bonheur et je lui apprendrai à faire de l'or. Voilà tout. Mais c'est si ennuyeux qu'il n'en aura pas la patience, il aimera mieux le recevoir tout fait du bon Dieu. - A propos il y en a un quelque part. - dans un coucou ; - il y en a même peut-être plusieurs. - J'en ai peur. Mais vous allez croire, mon pauvre et bon ami, que je suis encore malade, comme disaient les Grecs ! Janin a bien compris - pas tout - mais il sait ou saura tout.
Venez me voir ce soir si vous pouvez, ou demain matin.
Celui qui fut GERARD et qui l'est encore...

Ou encore, dans une lettre adressée à Anthony Deschamps (Le 24 octobre 1854):

Je conviens officiellement que j'ai été malade. Je ne puis convenir que j'ai été fou ou même halluciné. [...] J'estime les docteurs actuels, ancien étudiant moi-même ; j'ai trop souffert de quelques remèdes auxquels je n'ai pu me soustraire pour ne pas approuver le système de notre ami Emile, qui n'a employé que les bains et deux ou trois purgations contre le mal dont j'ai été frappé, mais qui m'a traité moralement et guéri, je le reconnais, de bien des défauts que je me reconnaissais sans oser les avouer.

Tout s'expliquera et je rentrerai en grâces. La vertu dont j'ai fait preuve en diverses occasions me donne quelques droits au titre de vestal, pour lequel il suffit d'inventer un mot et de supprimer une voyelle.

Cet état n'avait pas écharpé à Blanche, qui avait aussi noté la résurgence d'une exaltation.
GdN vit un Noël 1854 misérable. Le 24 janvier 1855, il griffonne à l'intention de sa tante, Mme Labrunie, ces quelques mots, qui seront aussi les derniers. Il signe Gérard Labrunie.

Ma bonne et chère tante, dis à ton fils qu'il ne sait pas que tu es la meilleure des mères et des tantes. Quand j'aurai triomphé de tout, tu auras ta place dans mon Olympe, comme j'ai ma place dans ta maison. Ne m'attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche.

Il passe la soirée chez l'actrice Beatrix Person, en compagnie de Georges Bell et de Philibert Audebrand. Il termine la nuit au "violon".
Le 25 janvier 1855, Nerval emprunte sept sous à son ami Asselineau, puis se rend le soir au Théâtre-Français dans l'espoir de rencontrer Arsène Houssaye et probablement de demander à celui-ci une avance. Il soupe dans un cabaret des Halles. Il aurait fait, cette nuit-là, -18° ! La ville est ensevelie sous la neige.
A l'aube du 26 janvier 1855, on trouve Gérard de Nerval, pendu à une grille avec ses lacets, rue de la Vieille-Lanterne (ci-contre), à proximité immédiate du Châtelet. L'enquête conclut à un suicide.

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Étude clinique d'Aurélia

Ceux qui auront le goût de lire sous l'oeil du psychiatre le texte d'Aurélia (voir), reconnaîtrons :

Le prodrome avec un manque de sommeil plutôt lié au travail qu'à un excès d'énergie, qui viendra plus tard avec hyperactivité ou une agitation, des troubles du comportement et une irritabilité.
La description d'un concernement, de l'impression que tout prend sens.
Le vécu d'une irréalité du monde extérieur : les gens et les couleurs sont transformées.

Suivront des épisodes de confusion avec des périodes d'inhibition et d'excitation dont le mode d'installation semble être rapide.
Il décrit des erreurs de reconnaissance des personnes dont on reconnaît le caractère fugitif. Il décrit aussi des troubles de la mémoire pendant l'épisode, mais aussi de l'épisode lui-même vécu comme un rêve (vécu onirique) : il parle lui-même de "l'épanchement du songe dans la vie réelle" (première partie, III, p.6). Henry Ey utilisait le terme "d'irruption du rêve" pour décrire la bouffée délirante. Mais il ne faut pas confondre le vécu onirique avec les descriptions de véritables rêves qui sont beaucoup comptés dans ce récit en alternance avec les faits réels.

Ses idées délirantes sont multiples. Alternent : des idées de culpabilité, de grandeur, des délires à thème religieux, de référence avec parfois une pointe de persécussion. Certaines pourraient ne pas être considérées comme congruentes à l'humeur (liaison avec la marche de l'univers). Les idées de mort semblent tout particulièrement le préoccuper, ce qu'il rattache au décès de son amour.

Hallucinations acoustico-verbales fugitives, mais aussi illusions visuelles (les hallucinations scéniques ne semblent correspondre qu'à la description de véritables rêves). Il n'est pas clair qu'il ait ressenti des hallucinations cénesthésique (passage sur les courants magnétiques et électriques : première partie, III, p.6). Pour une bonne part, les hallucinations, surtout acoustico-verbales ne semblent pas toujours en lien avec l'humeur.

Nous invitons le lecteur à être attentif à la versatilité des émotions : il oscille entre extase et angoisse.

On comprend à la lecture de son manuscrit que son comportement oscillait entre des phases d'agitation et de stupeur

Enfin, une fois l'épisode résolu, ce qui semblait être rapide (~1 mois) il décrit une lenteur l'empêchant de travailler (pendant ~2 mois) et des idées "délirantes" résiduelles, l'envie de comprendre, de rationaliser ce qu'il avait vécu. Pas seulement "Aurélia", mais aussi toute son oeuvre tardive est empreinte de ce cheminement intellectuel.

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Questions

Vous pouriez prendre le temps de répondre à la question suivante :

  • Quelle est / sont votre / vos proposition(s) / hypothèse(s) diagnostique(s) en fonction de la CIM-10 et du DSM4R (sous forme comprise) ?
  • Et pour ceux qui souhaites aller plus loin, en fonction de la classification de Leonhard (WKL) ?

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