Le patient psychotique au centre de la recherche

Résumé : 

Problème personnel, social et enjeu économique majeur, la psychose bouleverse tant la vie du patient et de sa famille, que les schémas classiques de la recherche. Où en est-on ? Pourquoi la recherche n’avance-t-elle pas plus vite ? Que pouvons-nous faire pour l’aider à avancer ? La difficulté de la recherche en psychiatrie tient à l’absence de cause identifiée pour les maladies mentales. On sait qu’une personne est malade, qu’elle souffre, mais sans que la cause en soit connue. Or la démarche classique en recherche médicale part de la connaissance de la cause. De là, on parvient à comprendre les mécanismes et à inventer de nouveaux traitements. Autrement dit, à moins de compter sur le hasard, il faut passer par une meilleure connaissance de la maladie pour progresser. Aujourd’hui, l’espoir est réel de mieux comprendre les maladies mentales. Pourquoi ? Parce qu’il est notamment possible d’étudier le fonctionnement du cerveau grâce à des techniques d’une parfaite innocuité. Nous verrons que des avancées spectaculaires ont déjà pu être faites dans ce domaine grâce à des investissements importants. D’autres encore le seront dans le futur avec le concours de tous, patients, familles, médecins et chercheurs.

Article

Problème personnel, social et enjeu économique majeur, la psychose bouleverse tant la vie du patient et de sa famille, que les schémas classiques de la recherche. La conférence de l’UNAFAM du 28 juin 2006 avait pour objectif d’informer les premiers concernés et leurs parents des difficultés auxquelles médecins et chercheurs sont confrontés. Cet article reprend les points principaux de cette soirée.

Il est clair que la finalité de toute recherche médicale doit être d’apporter des solutions thérapeutiques aux patients. Ce qu’on oublie parfois, c’est que cela passe obligatoirement par une meilleure compréhension du trouble, le tâtonnement au hasard étant aussi peu scientifique que productif. Pour comprendre les difficultés de la recherche en psychiatrie et plus particulièrement dans le domaine des psychoses, il convient de  faire une digression sur le modèle médical.

Le modèle médical (cliquez ici pour une discussion épistémologique)

De quoi s’agit-il ? Le modèle médical est fondé sur la notion de maladie. La compréhension intuitive de ce terme correspond le plus souvent à un ensemble reconnaissable de symptômes (on parle alors de syndrome) qui mène à un diagnostic. La réalité est légèrement plus complexe, car la notion de maladie signifie que nous connaissons la cause, on parle d’étiologie, et la chaîne de conséquences qui mène aux symptômes observés, ce qu’on appelle la physiopathologie.

Prenons l’exemple d’une angine. Ce que constate le médecin, ce sont des symptômes : le consultant se plaint d’un mal à la gorge et de fièvre, et à l’examen des amygdales, le médecin remarque qu’elles sont rouges et ont augmenté de volume. Ces observations permettent de poser un diagnostic syndromique : l’angine. Un diagnostic syndromique, ce n’est pas encore l’identification d’une maladie, cela signifie simplement la reconnaissance d’un tableau clinique.

Le diagnostic reste donc incomplet : quelle en est la cause ? En effet, à un diagnostic syndromique répondent plusieurs étiologies (causes) possibles : bactéries, virus, et beaucoup plus rarement hémopathie ou cancer. Pour préciser la cause, on recourt à des examens complémentaires, comme un prélèvement amygdalien ou une prise de sang. Ceux-ci révèleront par exemple que la cause est un streptocoque, une espèce bactérienne. Bien entendu chacun voit l’intérêt de connaître cette étiologie : il est possible de traiter le mal à la racine en donnant dans le cas présent, un antibiotique adapté.

Mais envisageons que la douleur soit insoutenable et que la température soit élevée. L’antibiotique ne commencera à agir sur les symptômes qu’au bout de 24h au mieux. Le patient demande à être soulagé avant. Pour cela, il convient  de connaître la chaîne de conséquences ou physiopathologie de la maladie. Nous savons que l’infection à streptocoque entraîne (entre autre) l’inflammation des amygdales, et que cet aspect de la physiopathologie est directement en cause dans la douleur, le gonflement, la rougeur, et la température en découlent. Ainsi pour soulager rapidement le patient, on peut prescrire un anti-inflammatoire.

En dehors d’une découverte fortuite, tout traitement innovant est le fruit d’une bonne connaissance de la maladie. Or ceci dépend en grande partie de la possibilité de la reproduire sur des modèles plus faciles à étudier. Le plus souvent il s’agit de modèles animaux. Ceux-ci permettent de mieux comprendre la chaîne de conséquences en partant de la cause pour aboutir aux symptômes, qui sont autant de cibles thérapeutiques potentielles. De plus ces mêmes modèles permettent de faire la preuve qu’un traitement a un potentiel thérapeutique sans qu’il soit nécessaire pour cela de recourir à des études chez l’homme. Ce n’est qu’après la démonstration d’efficacité chez l’animal, que des études humaines sont nécessaires.

Voyons encore deux points qui serviront notre réflexion :

1- Ce qui est le plus proche des symptômes, ce sont les conséquences physiopathologiques. C’est la physiopathologie qui explique le regroupement des symptômes en syndrome. Ici, douleur, chaleur, rougeur, œdème, participent à ce que l’on appelle le syndrome inflammatoire.

2- Mais une cascade de conséquences physiopathologiques peut être commune à de nombreuses maladies. Le syndrome inflammatoire par exemple est l’un des plus répandu. Il est commun à de nombreuses pathologies : infectieuses, auto-immunes, néoplasiques etc…

 Nous n’avons évoqué pour l’instant que le cas ou une maladie répondait à une cause. C’est le cas le plus simple, celui d’une étiologie unique. Mais il existe aussi des maladies pour lesquelles plusieurs facteurs vont concourir au déclenchement d’une maladie. On parle alors de maladies multi-factorielles. Par exemple, l’hypertension est souvent secondaire à un ensemble de facteurs : âge, terrain, alimentation et obésité qui s’associent de façon variée chez un individu.

 

Qu’en est-il des psychoses ?                                                              

Les psychoses se manifestent par un ensemble de symptômes : le syndrome psychotique, associant diversement délires, hallucinations et désorganisation de la pensée et du comportement. Ce diagnostic est syndromique et à l’instar du syndrome inflammatoire, résulte sans doute de plusieurs maladies différentes. L’impasse réside dans le fait que presque toutes nous sont inconnues : nous ignorons leur cause, et leur physiopathologie. En fait les distinctions opérées entre trouble schizophrénique, schizo-affectif, psychose hallucinatoire chronique, psychose puerpérale ou encore trouble bipolaire avec caractéristiques psychotiques ne reposent sur aucun test diagnostic. Il s’agit de tableaux cliniques, c’est à dire de symptômes dont l’association et l’évolution au cours du temps se retrouvent plus que ne le voudrait le hasard. C’est donc très différent de la notion de maladie.

Ce n’est pas que nous ignorons tout des psychoses. Nous savons par exemple, que la dopamine, un stress important, certains troubles de l’humeur, une altération des connexions entre les différentes aires cérébrales ou encore un terrain génétique jouent un rôle. Mais nous ne savons pas comment rassembler toutes les pièces du puzzle pour en faire une chaîne de conséquences qui soit cohérente.

L’absence de cause identifiée et d’éléments de physiopathologie des psychoses a plusieurs conséquences :

  • En premier, si nous sommes à peu près certains que les psychoses sont de multiples maladies, nous n’avons aucun moyen de les distinguer les unes des autres. Autrement dit nous mélangeons sans doute sous une même étiquette comme la schizophrénie plusieurs maladies dont l’étiologie pourrait être unique ou multiple. A l’inverse, peut-être qu’une même maladie est actuellement artificiellement séparée entre deux tableaux cliniques. Quoi qu’il en soit, cette incertitude sur le diagnostic pose un problème pour la recherche d’une cause. En effet nos groupes de patients sont trop hétérogènes, formés d’un mélange de plusieurs maladies que nos techniques actuelles sont incapables de distinguer. Des classifications beaucoup plus fines, plus proches du concept de maladie existent, mais elles sont complexes, et rarement maîtrisées. La création d’un cercle d’excellence sur les psychoses à pour objectif de promouvoir l’utilisation de la classification la plus validée : celle de Karl Leonhard.

  • Dans l’ignorance des déterminants de la pathologie, nous ne pouvons la reproduire même en partie chez l'animal. Cela retarde d’autant la compréhension de la chaîne de conséquences (physiopathologie) et rend impossible la découverte de thérapies innovantes autrement que par le hasard.

Il nous faut donc d’abord mieux cerner ce qui se passe chez les patients qui souffrent de ces maladies. Et c’est pour cela que pendant quelques temps encore, les chercheurs devront faire appel à la participation des patients pour tâcher de progresser. Autrement dit, l'innovation, pour quelque temps encore, ne viendra que de la recherche chez l'homme.

 

Mais comment procéder ?                                                                

Cela fait trop longtemps que la recherche bute sur l’énigme des psychoses pour penser que le problème  puisse être simple à résoudre. De sorte qu’actuellement plutôt que de partir tous azimuts, la recherche tend à se rationaliser. Et l’idée la plus simple est d’essayer de remonter patiemment la chaîne de conséquences, des symptômes jusqu’aux causes.

En effet, le modèle médical démontre que la recherche d’une cause à partir d’un groupe hétérogène de patients risque d’être difficile. En revanche nous avons vu qu’un regroupement syndromique est la conséquence d’une physiopathologie commune, i.e. la physiopathologie de l’inflammation et le syndrome inflammatoire. Autrement dit, des causes diverses vont avoir une conséquence physiopathologique commune qui est elle-même à l’origine des symptômes. Donc tous les sujets qui souffrent de psychose devraient présenter la même anomalie du fonctionnement cérébral lorsque les symptômes sont présents. En revanche en dehors de l’épisode psychotique l’activité cérébrale peut se normaliser, et ne peuvent alors être recherchés que des facteurs de risque à exprimer une psychose dans certaines circonstances.

Mais comment aborder cette première étape ? Nous avons une piste qui nous vient des rares maladies neurologiques qui s’expriment, soit parfois soit souvent, par un syndrome psychotique. A notre avantage figure le fait que l’étiologie et la physiopathologie de ces maladies sont en partie connues. Ce sont des maladies au nom barbare de leuco-encéphalopatie métachromatique, adréno-leucodystrophie, “vanishing white matter”, encéphalopathie post radique ou plus rarement certaines épilepsies, certaines scléroses en plaques ou certains problèmes vasculaires. Et toutes ces pathologies ont un facteur commun lorsqu’elles se manifestent par une psychose : elles s’accompagnent de lésions de la substance blanche.

La substance blanche correspond à un enchevêtrement de câbles gainés qui permettent un échange d’informations entre les différentes régions du cerveau. C’est la couleur blanche de cette gaine isolante qui lui a donné son nom. Et les pathologies s’accompagnant de psychose n’entraînent pas de coupure du circuit, mais une disparition de cette gaine isolante. Ainsi l’information est véhiculée par ces câbles, mais ceux-ci la conduisant mal, elle arrive en retard ou déformée. Serait-ce là la physiopathologie commune entre toutes les pathologies psychotiques ?

Grâce au formidable développement des techniques d’imagerie cérébrale non invasives, de telles études sont enfin possibles avec une gêne minimale et une totale innocuité pour les participants. Ainsi il nous est possible de mesurer l’échange d’informations entre deux aires en utilisant par exemple l’image par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). A titre d’exemple, nous avons demandé à des patients souffrant d’hallucinations verbales d’appuyer sur un bouton lorsqu’ils entendaient “des voix” pendant un enregistrement. En contrastant les épisodes avec et les épisodes sans les voix, on met en évidence les régions plus actives pendant la perception de celles ci. Il s’agit le plus souvent de la région temporale (au-dessus de l’oreille) impliquée dans la compréhension du langage, et d’une région frontale (2 cm au-dessus des tempes) impliquée dans le contrôle de l’activité mentale. Ce n’est pas pour autant que nous avons découvert pourquoi les patients entendaient des voix. En effet, chez des sujets normaux, ces mêmes régions s’activent spontanément, sans doute en rapport avec l’utilisation de leur “petite voix intérieure”. L’activité de ces régions n’est donc pas en soit anormale.

En revanche lorsqu’on mesure la quantité d’informations qui s’échangent entre ces deux régions, non seulement on observe que celle-ci est réduite même en l’absence d’hallucinations, mais surtout qu’elle est presque inexistante lorsque les voix sont présentes. La réduction des échanges d’informations même en l’absence d’hallucinations correspond à un facteur de susceptibilité à halluciner. Si le niveau d’échange présente des hauts et des bas au cours du temps, les sujets ayant un niveau d’échange réduit au départ, sont plus à risque de se retrouver à certains moments sous le seuil en deçà duquel le phénomène hallucinatoire apparaît. En effet, les échanges sont alors tellement réduits que la région frontale ne peut plus exercer son contrôle sur la région temporale. Cette dernière se met alors à fonctionner  indépendamment, de façon incontrôlée.

Il est théoriquement possible d’expliquer la désorganisation ainsi que la plupart des délires de la même façon. En effet ce qui pourrait rendre compte des différences symptomatiques tiendrait essentiellement à la ou aux paire(s) de régions qui communiqueraient mal. Cette hypothèse est appelée “disconnectivité”, pour signifier que les échanges se font occasionnellement de façon erratique. Reste à valider ces constatations sur d’autres symptômes de la psychose.

Si on comprend pourquoi les patients souffrant d’une pathologie de la substance blanche peuvent présenter une disconnectivité, quelles en sont les causes chez la grande majorité des patients ne présentant aucune atteinte neurologique patente ? La réponse à cette question, illustre comment il est possible de poursuivre notre remontée de la chaîne de conséquences jusqu’aux causes. Dans une étude qui va débuter, nous chercherons à mesurer la qualité des voies de conduction. Nous espérons ainsi savoir dans quelle mesure celle-ci détermine la quantité de l’échange d’informations. On s’attend par exemple à ce que les patients souffrant d’hallucinations présentent pour certains des voies de conduction moins bien organisées que ceux qui n’en souffrent pas. Ceci serait responsable d’un échange d’informations de mauvaise qualité au départ, et rendrait ces sujets susceptibles de présenter des hallucinations. Il est peu probable que ce facteur intervienne seul. En effet, les hallucinations vont et viennent, disparaissent pour un temps pour revenir plus tard. C’est donc que d’autres facteurs, plus dynamiques, sont en cause. Parmi eux, nous savons qu’il y a la dopamine. Son niveau est variable en fonction de l’âge, de l’état de stress ou de l’humeur, et on sait que des médicaments anti-dopaminergiques, les neuroleptiques, sont souvent efficaces sur les hallucinations. Les études en cours et à venir chercheront à comprendre comment la dopamine agit sur les échanges d’informations.

Vous trouverez une présentation sonorisée de 12 min de ce qui vient d'être dit avec ce lien.

 

Vers l’innovation thérapeutique ?                                                         

Alors est-ce que cette porte ouverte sur la physiopathologie permet dès à présent, d’envisager de nouveaux traitements ? Oui, et nous reprendrons l’exemple des hallucinations. Nous avons vu que nos résultats évoquaient une perte du contrôle frontal sur les régions temporales et que cette dérégulation libèrerait certaines activités automatiques. Or cet “auto-allumage” des régions temporales dépend de leur niveau d’excitabilité. Et celui-ci peut être modulé. Pour cela, on utilise la stimulation magnétique trans-crânienne dont nous disposons à Strasbourg grâce aux efforts d’investissement de la Région Alsace. Cette technique présente de gros avantages : elle est non-invasive, anodine dans ses effets et relativement simple d’emploi. L’application des champs magnétiques pendant quelques dizaines de minutes permet de moduler l’excitabilité du cortex stimulé et cette action persiste pendant une durée de quelques jours, parfois quelques semaines. Le sens de cette modulation dépend de la fréquence de la stimulation. Pour ce qui nous intéresse ici, une fréquence basse, permet de diminuer l’excitabilité du cortex temporal. Nous proposons cette technique depuis 2 ans aux patients chez lesquels le médicament ne permet pas une sédation suffisante de la symptomatologie hallucinatoire. Elle a obtenu un réel succès, puisqu’elle a permis une forte diminution du symptôme, même si sa disparition complète est plus rare.

 

Soutenir l’effort                                                                           

Nous espérons que ces quelques exemples vous ont convaincus que la recherche avance. Mais il nous semble aussi important de vous démontrer que l’avancée de la recherche sur les psychoses, est l'affaire de tous : certes c'est le travail des chercheurs, aidé par les acteurs de soins et les pouvoirs publics, mais c'est aussi le vôtre. Comme nous avons tenté de vous l’illustrer, sans la participation des personnes souffrant de ces troubles, ni le nombre de chercheurs, ni l'importance des moyens ne suffiront.

Mais les patients ne sont pas les seuls à pouvoir apporter leur aide. En effet, les apparentés aussi peuvent contribuer à l'avancée de la recherche. Frères, sœurs, parents, enfants d’un parent souffrant ou ayant souffert de psychose, partagent la moitié de son patrimoine génétique. Ainsi, sans doute comme l’immense majorité de la population, les apparentés portent pour partie les mêmes facteurs de vulnérabilité que la personne atteinte. Mais ils en portent aussi d’autres, des facteurs de protection dont le patient n’a pas hérité. Ainsi, si vous êtes apparentés à une personne, vous pourrez nous aider à mieux comprendre ces différents facteurs.

Pour terminer, nous aimerions faciliter le contact avec les personnes souffrant ou ayant souffert de troubles psychotiques en soulignant encore que leur contribution à la recherche reste incontournable à son avancement. Nous les engageons à s’informer des études en cours en prenant contact au 03 88 11 62 34 ou en cliquant sur le lien suivant. Il en est de même pour les apparentés qui peuvent se renseigner au même numéro / lien. Pour ne pas pénaliser ceux qui prennent de leur temps pour participer à ces recherches, il est prévu de les dédommager dans une certaine mesure pour leur contribution.

 

Remerciements                                                                           

Enfin, nous n’aimerions pas terminer ce petit tour d’horizon scientifique sans remercier tous ceux et toutes celles qui par leur participation ont déjà permis d’ouvrir la voie à la découverte de nouveaux traitements. Nous aimerions qu’ils sachent combien ce geste de solidarité a été précieux.

Nos derniers remerciements iront à l’UNAFAM pour son aide enthousiaste dans ces recherches et à la région Alsace pour son soutien et sa participation à ces travaux.