La paraphrénie confabulatoire / confabulante

Il s'agit d'une schizophrénie systématisée, dont l'expression serait caractérisée selon notre terminologie actuelle de schizophrénie paranoïde si les confabulations sont exprimées ou de déficitaire si le patient ne les exprime pas. Après une phase processuelle, le tableau clinique n'évolue plus, autrement dit il n'y a pas de rémission. Ce dernier se caractérise quasi exclusivement par des confabulations. Leonhard décrit un trouble de la pensée qui n'est plus qu'imagée. La gêne fonctionnelle est modérée à sévère en fonction de l'importance de l'apathie, le patient étant exclusivement intéressé par ses confabulations et plus par la réalité.

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Historique

Le terme de "paraphrénie" avait été utilisé par Karl Ludwig Kahlbaum pour décrire certains troubles psychiatriques apparaissant lors d'une transition de vie. Kraepelin l'utilisait pour décrire des troubles psychotiques n'évoluant pas jusqu'à une "démence" (précoce ou non dans ce cas). Il avait proposé 4 formes de paraphrénie, dont une paraphrénie confabulatoire dans sa 8ème édition de son "Lehrbuch" (1909-1913). En France, Dupré et Logre avaient proposé de grouper les délires dont le mécanisme imaginatif survenant sur un fond constitutionnel mythomane. L'école française a rapproché ces deux descriptions alors que le mécanisme français est principalement délirant et celui de Kraepelin principalement des troubles de la mémoire.
Leonhard distingue clairement la paraphrénie confabulatoire des confabulations chez le mythomane, ce dernier tableau appartenant non au registre de la psychose, mais à celui des troubles de la personnalité : "pseudologia fantastica" (soit des psychopathies dans son vocabulaire). Aussi la vision française de paraphrénie = absence de dissociation ne tient pas dans ce cas. En effet, bien qu'ils ne constituent pas le noyau du tableau, des symptômes déficitaires sont fréquemment présents.

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Clinique

La phase processuelle
Classiquement non caractéristique, on y retrouve des troubles de l'humeur, des idées de référence, quelques hallucinations classiques mais surtout un signe avant coureur des confabulations sous la forme d'expériences proches du rêve. En début de processus, le patient se plaint volontiers de changements brutaux d'environnement et particulièrement des personnes de l'entourage, avec des modification de taille, de forme, et d’apparence. On peut assister comme pour toutes les formes systématisées à des pseudo-rémissions au cours des 2 premières années d'évolution (25 à 30% des cas).

La phase d'état
Le patient ne parle guère de ce qu'il vit au jour-le-jour, mais s'épanche sur ses histoires fantastiques, qu'il faut savoir évoquer par des questions ou des suggestions s'ils n'apparaissent pas spontanément : "avez-vous déjà été sur Mars, en Chine etc... ?", "avez-vous rencontré des personnalités illustres ?", "avez-vous un souvenir de la révolution française ?". Le patient raconte de véritables histoires comportant des voyages extraordinaires avec des hommes ou des animaux, sur des continents ou des planètes éloignées, ou des conversations avec dieu ou des personnes décédées. A côté peuvent exister des souvenirs qui peuvent être cohérents, quoi que remontant à des phases de la vie où les souvenirs sont rares (~ avant 7 ans).
Dans le discours du patient, on retrouve un caractère de vécu, avec des scènes visuelles riches, impliquant toutes les modalités sensorielles : on parle d'hallucinations scéniques. Il peut y avoir des lacunes temporelles ou spatiales dans le récit, le sujet négligeant par exemple d'expliquer comment s’effectue le passage d'un pays à un autre.
Le patient peut conserver suffisamment de jugement pour constater l'irréalité de sa mémoire, mais comme cette expérience semble s'imposer à lui de façon tellement vive et nette il l'attribue à un rêve ou à un état de transe. Ou encore, la patient constate que ses expériences ne sont pas crues, et s'abstient d'en parler. On peut constater alors une véritable diplopie cognitive avec dans les formes peu évoluée un comportement parfaitement adapté et un discours cohérent, mais des souvenirs fantastiques remportant l'adhésion de fond du patient. Quoi qu'il en soit, les faux souvenirs ne sont jamais en lien avec le présent.
Les histoires sont fréquemment colorées par des idées de grandeurs, car ce sont souvent des personnalités qui sont rencontrées ou des actions d'éclats qui sont réalisées, mais cela n'influence pas son comportement.
Selon Leonhard, ces patients présenteraient un trouble de la pensée qu'il nomme "pensée en image", une notion qui ne se superpose qu'incomplètement avec celle de pensée concrète. Alors que la conversation semble normale dans les paraphrénies confabulatoires et que le cours de la pensée a un aspect cohérent, le patient échoue partiellement au test psychique expérimental.
L'humeur de base est en adéquation avec les histoires qu'il invente. Elle est souvent élevée, joyeuse lorsqu'il parle de ses confabulations. Cela va curieusement de paire avec une grande indifférence. Si on le contredit ou prétend ne pas le croire, il se contente parfois de changer d'histoire. L'expression des affects est souvent émoussée.

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Diagnostics différentiels

Par rapport à la paraphrénie fantastique dans laquelle une idée fantastiques suit l'autre sans logique, le patient présentant une paraphrénie confabulatoire raconte une histoire qui se suit de façon ordonnée et qui se tient d'un bout à l'autre. Il n'y a pas non plus d'appauvrissement des thèmes et le renouvellement est permanent. Après une courte pause ou une interruption, il reprend son histoire là où il l'a laissée. Alors que les idées absurdes des paraphrénies fantastiques sont principalement dues à une pensée illogique, les histoires des paraphrénies confabulatoires reposent sur des erreurs de mémoire. Aussi l'environnement direct du patient n'est pas inclus dans les confabulations à l'inverse de la paraphrénie fantastique. Il n'y a pas d'erreur de reconnaissance immédiate des personnes de l'entourage et l'expérience se déroule toujours en d'autres lieux. Enfin, dans la paraphrénie confabulatoire, le patient ne cherche pas à se conduire en accord avec un rang allégué, à l'inverse de ce que l'on rencontre dans la paraphrénie fantastique et plus encore dans la paraphrénie expansive.

L'euphorie confabulatoire est un tableau d'euphorie pure dans lequel l'enjouement est une composante qui tranche avec la pauvreté expressive de la paraphrénie confabulatoire. Cependant les neuroleptiques parviennent fréquemment à contrôler le trouble de l'humeur sans pour autant être forcément efficaces sur les confabulations. Il n'y a pas de période processuelle, les idées de grandeurs sont plus nettement présentes, sans trouble de la pensée. L'évolution se fait spontanément vers la guérison, mais parfois seulement après plusieurs années (voire dizaines d'années).

Les confabulations sont un symptôme fréquent dans la cataphasie, et dans la paraphrénie affective. Elles ont alors une clinique de souvenirs délirants (delusional memories) dans le sens qu'elles fondent ou sont sous-tendues par des idées délirantes.

Les confabulations du mythomane surviennent classiquement sur un trouble de la personnalité préexistant. Ce dernier point doit être relativisé dans le sens que ce dernier n'est pas toujours clairement identifiable. Mais les confabulations sont clairement instrumentalisées dans le but de se valoriser et sont donc aussi beaucoup plus crédibles, parfois au point de ne pas être détectées avant de nombreuse années.

Les confabulations neurologiques sont très différentes de celles de la paraphrénie confabulatoire. Les neurologues reconnaissent 4 grandes formes de confabulations :

  • Les intrusions, distorsions ou confabulation provoquées simples s'observent en situation de test et correspondent au rappel ou à la reconnaissance erroné d'un matériel non encodé (mot, détail d'une histoire). Elles émergent souvent lorsque le sujet est pressé de trouver des détails.
  • Les confabulations momentanées sont des affirmations erronées émises par le patient en réponse à une question. Bien que généralement plausibles, ces affirmations sont parfois incompatibles avec l'état actuel du patient. Elles vont d'une seule affirmation à une histoire complète. Elles peuvent être sémantiques ou épisodiques. Elles peuvent être isolées ou accompagner les confabulation spontanées.
  • Les confabulations spontanées observées lors d'une lésion frontale basale médiane, généralement suite à une rupture d'anévrysme de la communicante antérieure. Les confabulations spontanées se caractérisent par un comportement du patient inadapté par rapport à sa condition : il est médecin du service dans lequel il est hospitalisé par exemple. Plus qu'une erreur mnésique, ces patients ne se comportent pas de façon adaptée par rapport à la réalité immédiate. Elles s'accompagnent quasi systématiquement d'un syndrome amnésique (antérograde et rétrograde) et d'une désorientation. Le tableau ne dure généralement que quelques mois (3 en moyenne).
  • Les confabulations du syndrome de Korsakov s'accompagnent elles aussi d'un syndrome amnésique (antérograde et rétrograde) et d'une désorientation temporo-spatiale (pas par rapport aux personnes). Elles semblent le plus souvent plausibles. Les patients ne mentent pas (il n'y a pas l'intention de falsifier la réalité). Ils donnent une réponse à laquelle ils s'attachent et cherchent à en convaincre l'interlocuteur s'il doute (ce qui n'est pas le cas des paraphrénies confabulatoires). Ces souvenirs se développent au fur et à mesure que le patient est interrogé et semblent venir combler les vides laissés par les troubles de la mémoire. Interrogé à des instants différents, le patient peut donner des réponses différentes. Ces faux souvenirs n'entrainent pas de comportement en rapport. Le tableau est chronique.

Par rapport aux confabulations neurologiques, celles de la paraphrénie confabulatoire sont :

  • stables dans le temps (les confabulations spontanées durent classiquement moins de 3 mois)
  • non accompagnées d'une amnésie ou d'une désorientation temporo-spatiale
  • sans effet sur le comportement du patient
  • non accompagnées d'un trouble du contrôle de la réalité ("reality monitoring")
  • non accompagnées d'anomalies aux tests évaluant les confabulations (expl : confabulation battery de della Barba, test de reconnaissance continue de Schnider).

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Rapport avec les classifications internationales

Les paraphrénies confabulatoires remplissent dans la majorité des cas le diagnostic de trouble schizophrénique. Les patients sont décrits comme déficitaires, à la fois parce qu'il existe une apathie et un émoussement affectif primaire, mais aussi secondairement à leur intérêt plus important pour leurs confabulations que pour la réalité. En phase résiduelle, le diagnostic de trouble délirant persistant pourrait être porté, rarement en pratique car la phase processuelle est souvent suffisamment riche en autres symptômes psychotiques pour orienter le diagnostic.

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Terrain

L'age moyen de survenue est de 36 ans, avec une légère prédominance féminine (3 femmes pour 2 hommes). Il n'y a pas ou très peu de composante héréditaire (5% des apparentés du premier degré souffrent d'un trouble psychotique, mais en règle générale jamais d'une forme homotypique).

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Pronostic

Sur le plan symptomatique, le pronostic est celui de toute forme systématisée de schizophrénie : les symptômes ne disparaîtront pas, même sous neuroleptiques. Tout au plus le patient peut-il présenter une certaine forme d'adaptation.

Sur la plan fonctionnel en revanche, en dehors de la phase processuelle, le devenir de ces patients est variable. Ils peuvent être indépendants, sachant s'occuper d'eux-même, voire de leurs proches et gérer un budget si le trouble n'est pas trop prononcé. Dans les formes complètes, ils sont déficitaires, trop tournés vers leurs faux souvenirs que la réalité ne les intéresse plus. L'ensemble est majoré par l'apathie.

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Traitement

Sur le plan thérapeutique, les neuroleptiques n'ont aucun impact sur les confabulations. La clozapine ne semble pas avoir d'efficacité supérieure dans cette indication. Les antidépresseurs peuvent être prescrits à titre symptomatique.

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Cas cliniques

Karl Friedrich Hieronymus Freiherr von Münchhausen (le baron), n'a probablement pas souffert de cette affection, mais plutôt d'un trouble de la personnalité à type de mythomanie (cf. wikipedia)

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Références

Textes de référence pour la paraphrénie confabulatoire :

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