03/06/13

Dépression anergique ou apathique

Attention, il ne s'agit pas d'un phénotype car il n'est pas valable sur la vie entière. Nous décrivons ici un tableau clinique, c'est à dire, un instantané à un moment T de la vie du patient. Nous pensions jusqu'en 2014 que tous les patients que nous avons vus avec ce tableau clinique s'inscrivaient dans le cadre d'une PMD au sens de Leonhard. Malheureusement comme c'est souvent le cas dans ces formes polymorphes cela s'est révélé en partie erroné. Si la majorité des patients répondent bien à ce diagnostic (18/20 soit 90%), un petit groupe de patients développaient en fait une catatonie périodique, qui s'est démasquée avec l'évolution (2/20, soit 10%).

Néanmoins le décrire isolément nous semble avoir du sens car il dure souvent longtemps, très longtemps, a un impact majeur sur l'activité professionnelle (mise en invalidité fréquente), sur la qualité de vie du patient, et il est résistant aux traitements antidépresseurs usuels (parfois ECT compris) alors qu'il semble très bien répondre à une approche thérapeutique spécifique. Dans notre expérience c'est l'expression clinique de la plus fréquente des dépressions résistantes (~60%), l'autre forme majeure étant constituée du tableau clinique de dépression agitée (~30%), qu'il ne faut pas confondre avec le phénotype de dépression agitée tel que défini par WKL.

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Historique

Le tableau athymhormie décrit en 1922 par Maurice Dide et Paul Guiraud nous semble correspondre pour l'essentiel. On y retrouve une perte du désir et de la motivation. 

Un grand nombre de patients répondraient au critère d'atypicité au sens anglo-saxon, pas tous cependant, et les symptômes les plus spécifiques n'y sont pas listés, d'où cette proposition. A noter que les 2 patients présentant une catatonie périodique répondaient aux critères d'atypicité.

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Clinique

Il s'agit d'un tableau clinique qu'il n'est utile d'évoquer que dans le cas où le patient resterait dans cet état un temps suffisamment prolongé (nous proposons ≥3 mois en lien avec la physiopathologie de ce tableau). Il est fréquent de l'observer durant de courtes périodes d'une pathologie bipolaire, mais l'évoquer est de peu d'intérêt dans ce cas. Comme il s'agit d'une forme entrant fréquemment dans le cadre des PMD, on va retrouver toutes les caractéristiques de ce phénotype WKL. Le plus simple est d'avoir des antécédents de trouble maniaque ou d'hypomanie (~ 40%), parfois avec une composante psychotique marquée (~30%). Cette dernière composante était absente chez les 2 patients souffrant d'une catatonie périodique (en revanche présente lors d'une autre phase). Cependant rappelons que ce critère n'est pas obligatoire pour parler de PMD selon WKL. Aussi on va s'attacher à rechercher une mixité ou une incomplétude des pôles. Le tableau que nous allons décrire est d'ailleurs incomplet (au sens de WKL) : on retrouve une atteinte des sphères psychomotrice (apathie) et émotionnelle, sans atteinte nécessairement marquée au niveau de la pensée. Aussi on observe :

  • Une apathie, adynamisme, avolition, amotivation, anénergie qui se traduit par une difficulté à initier une action dirigée vers un but, une difficulté à maintenir cette action, une fatigabilité, une sensation subjective d'effort lors de toute action motivée, ce qui peut se traduire par une sensation de membres lourds (leaden paralysis). Le patient ne fait rien ou quasiment rien lorsqu'il n'est pas stimulé et le plus souvent s'allonge sans dormir. Certains patients reprennent le travail car celui-ci les tient et leur permet de fonctionner tant qu'ils sont dans le contexte. La motricité expressive est souvent limitée, mais l'interaction sociale fait que cet élément n'apparait que rarement pendant l'entretien, et il est difficile de l'évaluer à domicile.
  • Au sein de la sphère émotionnelle même on observe une dissociation avec un manque d'émotion positive, mais pas de grande tristesse ni de grande douleur morale. Le tableau est donc dominé par une anhédonie, ou une anesthésie affective. Le patient décrit une perte de plaisir. Cela va rarement jusqu'à l'anesthésie affective intégrant aussi la tristesse et l'anxiété, plutôt observée dans une véritable mélancolie selon WKL. Chez certains sujets jeunes, cela se traduit par un tableau de dépression indifférente ou de trouble de dépersonnalisation (cf. définition du DSM IV).

Le tableau clinique s'installe en règle générale assez rapidement, il peut être précédé de formes différentes de dépressions, et leur présence est précieuse puisqu'elle atteste de la fluctuation du tableau clinique caractéristique de PMD. Ces formes différentes sont intéressantes à rechercher lors d'épisodes antérieurs comme lors du même épisode. La fluctuation peut se faire en intensité avec des périodes de rémission partielle ou totale de quelques jours à 1 ou 2 mois. La patient rapporte généralement l'ensemble comme un seul épisode et il faut l'interroger spécifiquement sur l'éventuelle présence de ces moments de mieux. Les fluctuations peuvent être de cycle plus court, comme l'amélioration vespérale de l'humeur qui est caractéristique lorsqu'elle est marquée.

Mais un des signes le plus cliniquement pertinent est la réactivité du tableau clinique : c'est à dire la sensibilité de ce dernier au contexte et tout particulièrement au contexte social. C'est ce qui met le psychiatre en difficulté pour apprécier la sévérité de cette forme de dépression. Ainsi il voit un patient un peu éteint, mais pas mélancolique, pas très animé, mais pas totalement amimique et ayant des gestes d'accompagnement. Parfois le patient peu même se normaliser le temps de l'entretien. Il faut le questionner pour savoir si pendant l'entretien même, il n'est pas mieux, un effet qui est d'autant plus marqué que l'entretien est long (> 1h). Attention, comme certains de ces patients semblent craindre de ne pas être pris au sérieux, il faut reconnaitre le fait qu'ils peuvent revenir à leur état de base dès qu'ils auront franchi la porte de votre bureau. Ce qu'il faut demander c'est si pendant que le patient est là en face de vous, il y a une amélioration. Cette amélioration peut s'observer lors de tout contexte social : d'un coup de téléphone à la fête de famille. Aussi les patients rapportent quelques instants de joie lors de la visite des petits enfants, lors d'une réunion de famille. L'amélioration peut ne concerner qu'un pôle particulier sans affecter les autres : les émotions, la motivation, la pensée. Quoi qu'il en soit si vous percevez un décalage entre ce que vous rapporte le patient (ou son conjoint) de son comportement à la maison avec celui que vous objectivez pendant l'entretien, il faut évoquer ce signe clinique et le documenter.

De façon inconstante, on objective des signes végétatifs inversés :

  • Une hypersomnie : durée de sommeils, sieste comprise, augmentée (+2h par rapport au temps normal ou > 12h). Attention, cela est différent du temps de présence dans le lit (si le patient ne dort pas, s'assurer que ce n'est pas de l'adynamie). C'est aussi différent d'une réaction de fuite face au caractère insupportable de la vie (généralement ne correspond pas à ce tableau clinique).
  • L'hyperphagie réelle semble rare (mais encore ceci se base-t-il sur le dire des patients), en revanche la prise de poids est plus souvent observée qu'une perte de poids (+5% de masse corporelle). Il s'agit d'un signe diagnostic ayant une valeur faible puisque ceci peut être induit par les traitements.

Sur le plan de la sphère de la pensée, le ralentissement idéique n'est généralement pas marqué en entretien, même s'il peut constituer un plainte du patient. Le contenu de la pensée est dépressif : je ne vaux plus rien , je ne sais plus rien faire, je ne sers à rien, la vie de vaut pas la peine d'être vécue dans cet état, péjoration de l'avenir... En fait la tristesse n'est présente que de façon réactionnelle à une atteinte narcissique face à cette incapacité à faire les choses ou à les ressentir, que le patient ne comprend pas et dont il se croit responsable.

On peut observer des idées bizarres, surinvesties : c'est la faute d'un organe, penser être ensorcelé ou possédé. Nous n'avons pas encore rencontré de patient réellement délirant au sens d'être incapable de remettre en question ces idées bizarres.

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Diagnostics différentiels

Il faut éliminer des causes organiques classiques (dépressions exogènes) pouvant entrainer une apathie : méningiome de la base tout particulièrement (demander au patient si son odorat fonctionne bien), une pathologie extrapyramidale, une démence dégénérative (DFT surtout ⇒ MMS+BREF). Les lésions entrainant un apragmatisme par défaut de programmation : lésions préfrontales corticales ou leucoencéphalopathies intéressant la substance blanche sous-frontale (IRM).

La position de la rémission apathique n'est pas claire mais doit être éliminée. Rappelons que ce type de rémission est observée lors de l'utilisation de traitement à forte valence IRS sans effet inhibiteur sur le Rc 5HT2c. Il faut aussi éliminer une symptomatologie secondaire à la prescription d'un traitement antipsychotique.

L'autre diagnostic différentiel est celui d'une mélancolie selon WKL. Pour mémoire il s'agit d'un trouble qui va affecter le trois domaine psychiques, qui est unipolaire et donc ne présente aucune réactivité ni fluctuation, ni mixité ni incomplétude.

La catatonie périodique était jusqu'en 2014 considérée comme un diagnostic différentiel. La diversité de l'expression clinique du phénotype (antécédents et épisode actuel) et l'absence d'une atteinte qualitative de la psychomotricité doivent être recherchées (fixité du regard, négativisme véritable, parakinésies). Cependant 10% des patients ayant présenté ce tableau clinique répondaient à ce diagnostic et nous semblaient même pour certains être des formes typiques avec d'excellentes réponses thérapeutiques. A noter que sans précautions, le traitement de ces formes a entraine un tableau d'hyperkinésie qui a justifié le redressement du diagnostic. 

Les dépressions réactionnelles sont un diagnostic différentiel important à faire. En effet leur réactivité thérapeutique est très différente. Les formes cliniques qui s'accompagnent d'une anergie sont le plus souvent liées au travail. Le facteur déclenchant la réaction est une déception, comme une mise mise à la retraite, ou un manque de reconnaissance dans les dépression d'épuisement (neurasthénie, burnout, karoshi). Dans le contexte d'un surmenage, un début très progressif au point de ne pas pouvoir le dater, un retentissement partiel sur la vie sociale au point de poursuivre une activité professionnelle doit faire envisager ce diagnostic. Les autres éléments du diagnostic différentiel sont :

  • L'identification du processus normal d'amplification des affects : l'alternance des émotions oscillant entre deux pensées opposées. Le sujet fait des va et vient entre espoir et désespoir de voir un projet se réaliser, une relation amoureuse, un succès professionnel etc... Ces pensées génèrent un affect positif, mais leur déception entraine un affect négatif (désespoir, crainte, anxiété...). Si un nouvel espoir est donné l'affect positif sera amplifié, de même que la chute etc... Ce mécanisme d'aller et retour peut être développé par le sujet lui-même qui se monte la tête ou aidé par le contexte qui entretien sciemment l'espoir : relation avec une personnalité borderline, ou manageur faisant miroiter un changement positif.
  • Distractibilité : le sujet peut retrouver une humeur normale s'il est distrait. La réactivité ne va jamais jusqu'à une activation comme dans la PMD (devient presque euphorique ou logorrhéique).
  • L'absence des symptômes typiques des formes de dépression pure de même que l'absence de symptômes typiques de la PMD.
  • On retrouve classiquement une personnalité accentuée ou un trouble de la personnalité appartenant à la catégorie des troubles du tempérament : type émotif, émotif-labile, cyclothymique, sub-dépressif et taciturne (personnalités WKL).

Le tableau de psychasthénie proposé par Janet est une des formes cliniques de la névrose obsessionnelle pouvant se confondre avec un tableau d'apathie. Mais il faut différencier l'apathie qui est un état d'indifférence émotionnel et de perte de la motivation, de l'apragmatisme, qui est une difficulté à passer à l'action, ici en raison d'idées obsédantes et d'inhibitions. La volonté, la planification et l'intention sont présentes, mais paralysées par le doute et l'anxiété.

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Proposition de critères (recherche)

Ces critères sont proposés et ne sont sans doute pas définitifs. Ils sont en cours de validation et servent de base à une recherche thérapeutique.

Cliquez sur le lien ci-contre pour voir l'état actuel des critères diagnostiques en anglais. Seuls les membres du CEP peuvent les modifier. Mais vous pouvez réagir soit en nous envoyant un mail, soit en insérant un commentaire.

 

Mode d'emploi

  1. Tous les critères de rang A remplis (obligatoires)
  2. Au moins 1 critère de rang B (facultatifs)
  3. Aucun des critères d'exclusion de doit être observé

Rang A (tous sont requis)

  • Répond au critère de PMD de Leonhard (au moins 1 des critères)
    • Mixité ou incomplétude des pôles
    • Réactivité de l'humeur et/ou fluctuation du tableau clinique
    • PMD avérée (1 épisode hypomane ou maniaque + 1 épisode dépressif)
  • Apathie, adynamisme, avolition, amotivation
  • Anhédonie, anesthésie affective
  • Ayant un impact significatif sur la sphère personnelle, affective, sociale ou professionnelle du patient (perte ≥ 20 points à la GAF).
  • Durée ≥ 3 mois

Rang B (facultatifs, au moins 1 requis)

  • Signes végétatifs inversés (1 des 2) :
    • Hypersomnie (> +2h)
    • Hyperphagie et/ou prise de poids (> 5% masse corporelle)
  • Tristesse de l'humeur, essentiellement secondaire aux reproches qu'ils se font ne pas faire ce qu'ils devraient, de ne pas ressentir pour leurs proches ce qu'ils devraient ressentir. Tristesse en second plan par rapport à l'anhédonie / apathie
  • Ralentissement idéique peu marqué au cours de l'entretien
  • Apparenté direct souffrant de bipolarité

Critères d'exclusion

Secondaire à

  • Un traitement médicamenteux : antidopaminergique ou IRS (rémission apathique)
  • Une affection organique : pathologie extrapyramidale (DAT scan), démence dégénérative, leuco-encéphalopathie ou pathologie expansive

Clinique

  • Absence d'arguments pour une catatonie périodique : absence de fixité du regard, négativisme véritable, parakinésies, apparenté du premier ou du second degré souffrant de catatonie périodique

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Rapports avec les classifications internationales

Nous avons déjà souligné le lien de parenté avec la dépression atypique lors de l'introduction. Rappelons que les recherches récentes montre qu'un peu plus de 60% de ces patients sont diagnostiqués de bipolaire.

Le DSM V risque d'exclure certains de ces patients du diagnostic de dépression chronique, puisque la fusion de ce diagnostic avec celui de dysthymie fait que la tristesse de l'humeur est obligatoire. Or ces patients ne sont pas tristes dans 15 à 20% des cas ! Ils ne remplirons donc pas les critères du nouveau trouble dépressif persistant.

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Terrain

Environ 50% des patients rapportent chez des apparentés du premier degré une bipolarité avérée ou des épisodes dépressifs récurrents d'allure unipolaire.
Plus des 2/3 de ces patients sont agés (72%).
Il reste à déterminer dans quelle proportion ces patients présentent les mêmes caractéristiques que celles retrouvées dans le tableau de dépressions bipolaires.

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Pronostic

Le pronostic est celui du phénotype dans lequel ce tableau clinique s'inscrit, c'est à dire de la PMD. Le pronostic de l'épisode en revanche semble spontanément défavorable à moyen terme dans le sens qu'il ne se semble pas se remettre spontanément avant un temps assez long. Il n'est pas exclu que les tentatives de traitement par des médicaments inappropriés participent à la chronicisation de ces formes. La durée des épisodes qui nous ont été référés est en moyenne de 4 ans lors du premier contact et il nous a fallu en moyenne 5 mois pour amener les 5 premiers patients à la rémission symptomatique complète (absence de symptôme résiduels). Sur un suivi de 6 mois un seul patient a rechuté durant 1 semaine en raison de l'interruption du traitement sans atteindre loin s'en faut l'intensité du tableau initial. Le suivi le plus prolongé que nous ayons est de 14 mois.

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Traitement

Ces patients nous semblent correspondre en tous points à ceux qui sont inclus dans les cohortes ayant accès à la chirurgie par stimulation cérébrale profonde. Toutes formes de dépression résistante confondues, les statistiques montrent un taux de répondeur et de patients en rémission à 6 mois variable en fonction de la cible :

NRéponseRémission
Striatum ventral3140%20%
BA251460%50%
MFB660%NA

A noter que le nombre de patients (N) reste faible. MFB = faisceau médian du télencéphale. D'autres cibles n'ont été tentées qu'une seule fois et n'ont pas été incluses dans le tableau (habénula latérale, pédoncule thalamique inférieur).

La kétamine fait aussi partie des traitements essayés dans ce tableau clinique. Le taux de répondeur toutes formes de dépression résistante confondues est de 70% lors d'une première injection dans la première semaine, mais perd son efficacité chez la majorité des patients. Le maintien de cet effet passerait sans doute par des injections répétées, ce qui n'a pas été réalisé pour l'instant en raison des risques de toxicité cérébrale rapportés chez l'animal. De nouvelles molécules sont en train d'être testées (AZD 6765, GLYX-13).

De notre côté, sur la base d'un raisonnement physiopathologique, nous avons développé une approche pharmacologique combinée. Cette dernière semble particulièrement efficace, puisque sur les 5 premiers patients nous sommes parvenus à une rémission complète (aucune rémission chez les 2 patients qui ont décliné le traitement). Nous avons ouvert une étude pour valider notre approche de façon prospective sur une effectif plus large. Aussi, plutôt que de l'exposer dans ces lignes, nous vous invitons à nous contacter. Comme il s'agit d'une étude ouverte à un seul bras, chaque patient se voit proposer le traitement efficace, il n'y a donc pas de perte de chance. La communauté admet que dans ces formes extrêmement résistantes et chroniques une rémission spontanée est suffisamment rare pour que ce type d'approche apporte des éléments de preuve.

REM : Nous avons pu observer que les 2 catatonies périodiques qui présentaient ce tableau clinique ont bien répondu au traitement, mais que celui-ci effectué sans précaution entrainait après une rémission plus ou moins longue un épisode hyperkinétique. Aujourd'hui, le protocole a été modifié pour ce type de patient afin de ne plus exposer les patients à ce risque.

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