Cas clinique : Jaquin

Cas clinique proposé par Sébastien Weibel

Admission

J’ai rencontré M. Jaquim pour la première fois en décembre 2005 dans le pavillon d’admission du service de psychiatrie générale où j’étais interne. M. Jaquim avait été admis la veille en urgence, sous le régime de l’HDT. Les certificats médicaux mentionnaient un délire de thème mystique d’évolution récente. Le médecin de garde avait conclu à des troubles du comportement dans un contexte délirant probable. Le délire n’avait en effet pas été objectivé du fait de la réticence importante du patient. Le médecin avait été contraint à placer le patient en chambre d’isolement du fait de son agressivité.
M. Jaquim était connu du service pour y avoir été hospitalisé à trois reprises en 2003, mais dans un contexte bien différent de dépression avec idées suicidaires. Le patient avait laissé un relatif mauvais souvenir à l’équipe puisqu’il avait été ressenti comme manipulateur, et profitant des bénéfices secondaires apportés par l’hospitalisation. J’y reviendrais par la suite. Le patient avait été ensuite perdu de vue.

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Biographie, histoire de la maladie

M. Jaquim est né en 1964. Il a donc 41 ans lors de notre rencontre. Il est né d’un père ouvrier et d’une mère n’ayant jamais travaillé. Ses parents sont en cours de divorce actuellement. Il est l’aîné d’une fratrie de trois garçons. Le second est suivi par un psychiatre pour un syndrome dépressif, le dernier serait schizophrène et vit encore chez ses parents. Après avoir quitté le domicile familial, il a travaillé comme ouvrier du bâtiment. Licencié en 2003, il n’a plus retrouvé de travail fixe depuis. Sa vie sentimentale a toujours été assez chaotique. Il a eu une fille en 1989, qu’il ne voit plus depuis qu’elle a trois ans, date de la séparation d’avec sa mère. Il aurait aussi un fils qu’il n’a jamais vu. Il décrit une relation particulièrement houleuse avec sa dernière compagne, qui était alcoolique. Se connaissant depuis 2000, de nombreuses séparations et d’épisodes de violence ont marqué les quelques années de vie commune. Depuis 2003, M. Jaquim est devenu compagnon d’une communauté Emmaüs.
Il a comme antécédent médical une hernie discale opérée, mais encore source de douleurs importantes. Le patient ne consomme pas de toxiques ni n’abuse d’alcool.

M. Jaquim a donc été hospitalisé en psychiatrie à trois reprises en 2003. Il semble qu’il n’ait pas eu de contact avec un psychiatre ou un service de psychiatrie auparavant. Néanmoins, il aurait présenté une dépression en 2002 suite à une séparation.
Je vais revenir plus en détail sur les éléments cliniques que j’ai pu colliger à partir du dossier. Lors de sa première hospitalisation, M. Jaquim avait été adressé à l’hôpital du fait de propos suicidaires. Le patient était décrit lors de son admission comme ralenti, triste, amimique. Plusieurs autres symptômes de la lignée dépressive étaient notés. Le patient se plaignait des différents événements de vie qui l’avaient accablé les derniers temps et avait de ce fait une vision pessimiste de l’avenir. Il faisait allusion à des idées noires et parlait de tentatives de suicide dont la réalisation avait été plus ou moins avancée : phlébotomie, électrocution. Le contact était plutôt bon même si l’élaboration restait pauvre. Aucun élément délirant n’était noté. Un traitement antidépresseur (sertraline) et sédatif (Tercian ?) a été mis en place, permettant une amélioration de l’humeur en trois semaines environ, mais restant assez peu efficace sur les troubles du sommeil à type de réveils nocturnes dont se plaint le patient.
Cependant, des modifications sont relevées quant au contact : M. Jaquim devenait parfois sthénique, justifiant ses reproches agressifs par des plaintes quant à la qualité de l’hôtellerie et à la bonne volonté des soignants. Par ailleurs il semblait méfiant, et le contact était empreint d’une certaine fausseté et de froideur. Il était difficile d’obtenir un contact visuel tant son regard était fuyant. Un traitement par antipsychotique a été alors proposé (olanzapine). M. Jaquim est sorti d’hospitalisation après un séjour de quatre semaines.
M. Jaquim a été réhospitalisé deux semaines après sa sortie pendant quelques jours puis à nouveau pendant trois semaines deux mois plus tard. Le patient se plaignait d’idées suicidaires mais sur le plan clinique, on ne pouvait pas conclure à une rechute dépressive. Par ailleurs, M. Jaquim venait de perdre son logement et se trouvait dans une situation personnelle très difficile. Globalement, son attitude oscillait entre un état assez démonstratif où le patient se plaint, tendu et nerveux la tête baissée, le regard vers le sol, exprimant son sentiment d’être victime des malheurs qui l’assaillent et de façon toute opposée, un aplomb, un coté narquois et assuré. Les propos du patient restaient assez superficiels et factuels. Cette situation laissait à l’équipe soignante une impression de manipulation et peut-être aussi un agacement face à un comportement parasite. Le patient est finalement sorti, avec comme solution à sa situation de désocialisation l’accueil dans une communauté Emmaüs. Le traitement a été limité à l’antidépresseur.
Le diagnostic posé à sa sortie était : « syndrome dépressif sévère, avec traits de personnalité paranoïaque et comportement manipulateur »

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Hospitalisation

C’est donc deux ans plus tard que je rencontre ce patient. Le contact est très mauvais et il est difficile d’obtenir des informations. La réticence est massive, M. Jaquim étant parfois à la limite du mutisme, arborant néanmoins un sourire entendu. Le discours est allusif, emprunt de rationalisme : « vous êtes gaucher, vous devriez comprendre » dit-il à un infirmier. Des éléments de thème mystique émaillent son discours relativement hermétique : « vous croyez en Dieu, c’est au dessus de tout ça ». Bien que ne présentant pas de troubles du cours de la pensée, il est difficile de comprendre ses propos, tant M. Jaquim semble en proie avec cette réticence se déployant devant un délire probablement riche. Le patient est extrêmement méfiant, cela contrastant avec une note d’exaltation, mais aussi irritable et instable. L’ambiance qu’il suscite est très tendue.
Un traitement par neuroleptique atypique (olanzapine) est introduit permettant une relative diminution de la tension et de l’agressivité. Cependant, M. Jaquim reste encore menaçant et inaccessible au dialogue.
C’est seulement après deux semaines d’évolution que de façon assez paradoxale, M. Jaquim me fait part, de façon d’abord exclusive, de son édifice délirant. Les thèmes de son délire sont multiples. Tout d’abord il me fait part de sa volonté de tout changer, de régler les problèmes, notamment de corruption, qui assaillent la société française et la communauté Emmaüs. Il pense que lui, enfin, grâce à sa volonté sans faille va démasquer les usurpateurs et mettre de l’ordre. A coté de ces éléments mégalomaniaques, il me fait part d’un phénomène de concernement : « j’ai vu un reportage entier sur moi à la télé », et embraie sur un thème érotomaniaque. Il aurait rencontré une jeune polonaise à la communauté : « ça sera le mariage du siècle », « ils en ont parlé à la télévision ». L’adhésion est totale : « ne me prenez pas pour un fou », dit-il. La persécution n’est jamais loin, que ce soit dans le contenu du délire (« micros sous le lit») ou dans le comportement.
Sous traitement, l’amélioration est obtenue en l’espace d’un mois. Les éléments délirants sont totalement mis à distance et le contact est satisfaisant.
Donc M. Jaquim a présenté un épisode délirant aigu essentiellement interprétatif et intuitif à thématiques mégalomaniaque et de persécution, marqué par une méfiance très importante mais aussi par une note d’exaltation en début de phase productive.

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Suivit

Je l’ai suivi en CMP au sortir de son hospitalisation. Le traitement a d’abord été modifié du fait d’effets secondaires importants des neuroleptiques (parkinsoniens et atropiniques). L’évolution est marquée par un état dépressif profond, avec idées suicidaires mais sans symptôme psychotique, survenant au cours du mois de février 2006. M. Jaquim est hospitalisé, et une amélioration de son état est constatée après trois semaines de traitement antidépresseur. Le suivi se poursuit. M. Jaquim s’adapte à nouveau à son cadre de vie dans la communauté Emmaüs. Lors de nos entretiens, le contact est bon et le discours cohérent. Le patient dit prendre son traitement régulièrement et ne se plaint absolument de rien. J’ai tout de même tendance à m’interroger devant certains traits de personnalité qui m’intriguent : arborant un sourire inaltérable, il me donne l’impression de garder une part mystérieuse. Derrière un aspect de normalité, j’ai l’impression, en l’absence de tout trouble formel de la pensée ou du discours, qu’il tente de donner le change par cette façade un peu factice. Par moments, j’ai également l’impression que des éléments délirants ne sont pas loin : il me parle parfois de sa « petite amie » polonaise objet d’une partie de son délire du mois de janvier (et avec qui il n’a plus de contact), dont la pensée l’obsède parfois… M. Jaquim se ressaisit vite pour m’assurer que tout va bien.

Au mois de juillet, M. Jaquim rate un rendez-vous. Il vient néanmoins au rendez-vous suivant, l’air triomphant : « c’est notre dernier rendez-vous, c’est bon, tout est réglé, je n’ai plus besoin de tout ça… », m’annonce-t-il. A ses lèvres son sourire énigmatique est encore plus accentué qu’à l’habitude. M. Jaquim a des propos très optimistes, et me dit de manière allusive « il y aura du changement ». je ne note cependant ni idées clairement délirantes ni hallucinations. Il est familier, tourne en rond dans mon bureau et j’apprends qu’il ne dort quasiment plus : « la nuit ça me travaille ». Il existe un sentiment d’invulnérabilité et M. Jaquim refuse toute intervention de ma part. J’apprends également qu’il ne prend plus son traitement depuis de nombreuses semaines.
Au regard ce cet épisode assez typiquement maniaque, je dois organiser un hospitalisation sous contrainte qui se fait le lendemain.
Au service, un délire congruent à l’humeur est noté. Je n’ai pu participer à la prise en charge  hospitalière de M. Jaquim. Un traitement neuroleptique permet de juguler en deux semaines l’épisode maniaque. Il est noté que le patient présente, après l’épisode des traits de personnalités marqués par la méfiance et la rigidité ainsi que des tendances aux interprétations persécutives. Il sort d’hospitalisation avec un traitement neuroleptique retard.

Je revois M. Jaquim  en ambulatoire. Il me parait un peu réticent mais surtout assez éteint et ralenti par le traitement neuroleptique qui est à dose assez conséquente. Au vu de l’histoire clinique nous décidons, en même temps que la diminution du traitement neuroleptique, d’introduire un thymorégulateur et nous choisissons la molécule de référence : le lithium. Le traitement est bien toléré et j’ai suivi le patient jusqu’au mois de novembre, date à laquelle j’ai quitté le service.

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Questions

Vous pourriez prendre le temps de répondre à ces questions :

  1. Quelle est / sont votre / vos proposition(s) / hypothèse(s) diagnostique(s) en fonction de la CIM-10 et du DSM4R (sous forme comprise), et pour ceux qui souhaites aller plus loin, en fonction de la classification de Leonhard (WKL).
  2. Sur la base de ce(s) diagnostic(s), quel peut être le pronostic ?
  3. Sur la base de ce(s) diagnostic(s), quel est votre proposition thérapeutique ?

Une fois fait, cliquez sur le bouton qui suit pour lire les réponses à ces questions.

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