Recherches sur les dépressions chroniques - dépressions résistantes

La notion de dépression chronique

La définition d'une dépression chronique proposée par le DSM III, puis IV est simple : le patient présente un épisode dépressif majeur (EDM) de façon continue depuis 2 ans ou plus. Cette définition a été reprise en France par les autorités de santé dans le guide 2009 de l'HAS sur "les troubles dépressifs récurrents ou persistants de l’adulte". La CIM-10 a une catégorie "trouble chronique de l'humeur" (F34), mais il n'y a pas de trouble spécifié pour les dépression chroniques (n'y sont spécifiées que la cyclothymie et la dysthymie), de sorte qu'un tel tableau pourrait justifier d'un double codage F34.1 ou F34.8 pour la chronicité et F32 ou F33 pour l'EDM selon que le trouble soit unique ou récidivant.

La littérature, principalement nord américaine, reconnaît différentes formes de dépressions chroniques :

  • Les vrais EDM qui durent depuis plus de 2 ans
  • Les troubles dysthymiques définis comme une symptomatologie dépressive plus légère depuis plus de 2 ans.
  • Les doubles dépressions, c.à.d. la survenue d'un EDM sur un trouble dysthymique
  • Et le nouveau paradigme de la rémission et non plus de la réponse thérapeutique a attiré l'attention sur cette frange importante de patients qui après avoir présenté une EDM ne se retrouvent plus en rémission complète.

Aux USA, la prévalence annuelle des dépressions chroniques est de 1.5%, pour 7% de dépression au total. A titre comparatif, la prévalence annuelle des toutes les psychoses est de 0.5%. On considère que 20% des EDM traités en psychiatrie évolueront vers la chronicité (EDM > 2 ans ou réponse sans rémission > 2 ans) et qu'environ 30% des dépressions ont une évolution chronique. Enfin, toutes formes confondues, la probabilité de sortir spontanément de l'épisode est très faible (taux de rémission spontanée < 10% par an). En revanche, le taux de rechute de 50% environ à 4 ans reste proche de ce qui est observé dans les dépressions classiques.

Une telle importance méritait bien une catégorie diagnostique en tant que telle dans le nouveau DSM 5 : les troubles dépressifs persistants. Malheureusement, leur définition est en fait multiple puisqu'on y retrouve les troubles dépressifs chroniques, les troubles dysthymiques du DSM IV R et les doubles dépressions (trouble dysthymique + EDM). La justification de cette refonte sous un seul label est le résultat d'une grande étude nord américaine qui n'a pas observé de différence significatives dans ces 3 groupes. L'absence de rémission après un EDM n'est pas une forme différenciée par rapport au trouble dysthymique. Ce dernier ayant une prévalence annuelle de 0.5%, cela fait une prévalence de l'ordre de 2% pour cette nouvelle catégorie. De plus, ce remembrement risque d'exclure de la définition des patients présentant le tableau clinique de dépression anergique en raison de la nécessité d'une tristesse de l'humeur, la simple anhédonie ne suffisant pas (cf. les critères du DSM 5 et notre note)...

Chez ces patients, les études rapportent, comme pour les EDM, une proportion plus élevée de femmes (ratio de 2 pour 1). L'âge moyen de début est clairement plus précoce que les dépressions classiques (21 ans vs ~30 ans pour toutes les dépressions confondues). De plus une proportion importante de patients voient leurs premiers symptômes ou premiers épisodes débuter dès l'enfance. La notion de "tempérament" dépressif est parfois évoquée pour ces derniers. On trouve fréquemment associés :

  • Des troubles de la personnalité (>50 %), bien que la personnalité borderline paraisse la plus évidente, ce n'est pas la seule.
  • Des troubles anxieux généralisés ou des attaques de panique (46%)
  • Un abus de substance ou une addiction (~30%)

Sur un plan WKL, toutes des dépressions chroniques n'appartiennent pas au spectre des psychoses endogènes.

  1. Un bilan neurologique est nécessaire afin d'éliminer les formes "exogènes". Dans cette catégorie, une part dont l'importance reste à déterminer sont les formes pseudo-dépressives de troubles neuro-dégénératifs du sujet âgé. Nous recherchons dans quelle mesure certaines dépressions apathiques survenant après 50 ans, et particulièrement au moment de la mise à la retraite pourraient être la traduction comportementale d'une maladie à corps de Lewy.
  2. Une proposition considérée comme importante est d'origine "névrotique", secondaire à un conflit non résolu, fruit d'une interaction entre un vécu et une personnalité. Les carences affectives durant l'enfance génèrent un risque tout particulier avec une expression souvent précoce, dès l'enfance ou l'adolescence. Une grande étude a montré que ces formes répondent particulièrement bien à une psychothérapie spécifiquement mise au point pour les dépressions résistantes : la CBASP (Cognitive Behavioral Analysis System of Psychotherapy). Comme son nom ne l'indique pas, il s'agit plus d'une forme de thérapie interpersonnelle que de psychothérapie cognitive et comportementale. Celle-ci serait au mieux complémentée par de la nefazodone, un médicament dont nous ne disposons pas en France.
  3. Une seconde partie correspond aux psychoses endogènes. Elle est majoritairement constituée des phases dépressives d'une PMD, en partie de formes pures (mélancolie et dépressions pures) et une fraction non négligeable s'avère être des catatonies périodiques. L'appartenance des tempéraments dépressifs de Leonhard au label des troubles dépressifs persistants n'est pas claire et il reste attaché à une vulnérabilité à un trouble de l'humeur (PMD, mélancolie, mais pas dépression unipolaire).

La notion de dépression résistante

Il s'agit en grande partie du même problème, vu sous un autre angle. Pourtant, cette fois-ci, il n'existe aucune définition consensuelle pour le concept de dépression résistante. Si on imagine que tout patient qui ne rentre pas en rémission après une première ligne de traitement bien conduit (taux sérique efficace, durée > 8 sem) est résistant, l'étude STAR*D montre que cela correspond à 2/3 des patients consultant en psychiatrie institutionnelle (absence de rémission après 4 lignes de traitement).

Plutôt que de proposer une définition stricte, il a été proposé une hiérarchisation de la résistance : selon la gradation de Thase et Rush (1997) ou selon celle de Fava (2003). La dernière semble mieux prédire la probabilité d'une rémission que la première. Une limite de ces propositions est qu'elles classent en fonction de l'absence de réponse (50% de symptômes en moins), ce qui ne veut pas forcément dire rémission (absence de symptômes significatifs). Il reste donc un champ mal défini de patients répondeurs mais qui ne sont pas en rémission...

Sur des concept aussi flous, il n'est pas étonnant qu'aucune étude épidémiologique n'ait estimé la proportion de dépression résistante dans la population Française. Si on considère qu'un tiers des dépressions sont réfractaires, c.à.d. qu'elles ont résisté à 4 lignes de traitements bien conduits comme le suggère l'étude STAR*D, et que la prévalence annuelle de la dépression est de 9%, une extrapolation rapide donnerait une prévalence annuelle de plus de 3% pour la dépression résistante. Ce chiffre est considérable si on considère que la probabilité de sortie de l'épisode à 10 ans ne serait que de 40% et que la morbi-mortalité associée est très largement accrue par rapport à la dépression elle-même pourtant déjà élevée. Le quotidien de la pratique clinique ne donne pourtant pas l'impression d'un tel problème de santé publique. Aussi aucune prise en charge spécialisée n'a été développée en France, le réseau de centre experts récemment déployé restant orienté vers une approche plus descriptive qu'interventionnelle.

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Notre expérience

De part le label "rTMS" de notre centre, certains patients se sont spontanément présentés d'eux-mêmes ou sur incitation de leur entourage et plus récemment tendent à nous être directement adressés par des confrères.
Nous avons été surpris de constater qu'il existait des patients correspondant au label de dépression chronique, présentant un haut degré de résistance, qui étaient considérés comme incurables au point d'être parfois exclus de réseaux de soins. En raison de l'opposition du chef de service de psychiatrie au développement de la rTMS dans la dépression cette option n'a longtemps pas été proposée. Une situation qui ne va changer que fin 2015 (cf. études et projet CEMNIS). Mais plutôt que de ne pas s'occuper de ces patients, nous avons décidé de leur offrir une prise en charge avec l'idée d'explorer des prises en charge non classiques avec la perspective de les orienter vers la stimulation cérébrale profonde en cas d'échec.
La deuxième surprise fut de constater qu'une part non négligeable de ces patients entrait en rémission des lors qu'une thérapeutique adaptée leur était proposée et que cela n'était pas indépendant du tableau clinique inspiré du cadre offert par la classification de WKL.

Sur les 22 patients venus entre 2010 et 2012 pour dépression chronique et résistante, 20 entrent dans le cadre d'un trouble bipolaire selon WKL (20/22 - 91%), le plus souvent une PMD, parfois une catatonie périodique. Un seul avait le diagnostic de bipolarité (DSM/CIM), un autre remplissait les critères. On observe donc un hiatus important entre l'approche WKL et l'approche classique qui en est pourtant issue. Chez les 20 patients bipolaires, deux grands tableaux cliniques se dégagent, surprenant de stabilité au cours des années précédentes (3.5 ±1 an) :

  • La dépression anénergique / apathique représente 65% de l'effectif (n = 13 PMD +2 KP). Dans ce dernier, 100% des patients étaient entrés en rémission complète dès lors que le traitement adapté a pu être mis en place. Cela était vrai aussi pour les deux patients souffrant d'une catatonie périodique. C'est d'ailleurs le seul tableau clinique dans lequel ce phénotype était présent. A noter que l'arrêt intempestif du traitement a entrainé une rechute chez 1 de ces patients. Quoi qu'il en soit, ce résultat dépasse celui des cohortes de patients ayant bénéficié d'une neurochirurgie. On pourrait objecter que le degré de résistance n'était pas le même. Pourtant au moins deux de ces patients remplissaient tous les critères d'inclusion pour entrer dans une de ces études. Une étude ouverte est en cours pour poursuivre le recrutement de ces patients parfois hors des filières de soins afin de confirmer l'efficacité de cette approche thérapeutique.
  • La dépression agitée ne représente que 25% de l'effectif (5 patients), mais reste un challenge encore important. Si un traitement adapté a permis chez chaque patient une réduction de la symptomatologie, seule une patiente (20%) est entrée en rémission complète. Il reste donc encore de la place pour une optimisation thérapeutique et nous souhaiterions pouvoir échanger avec ceux qui ont réfléchi et/ou trouvé des solutions sur ce tableau clinique. Il faut savoir que la stimulation cérébrale profonde n'est malheureusement pas une option retenue chez ces patients en raison de leur trouble du comportement.

Vous aurez peut-être remarqué que nous avons utilisé le terme de "tableau clinique" et pas celui de "phénotype". Le phénotype est bien une PMD ou une catatonie périodique, simplement au moment où nous voyons ces patients, celle-ci s'exprime comme une dépression chronique et réfractaire de l'un ou l'autre type (2 patients seulement ne rentraient pas dans ces sous-groupes et correspondaient plus à des formes non endogènes - trouble dysthymique ou double dépression). Alors que le tableau clinique de dépression anénergique est généralement bien reconnu comme une dépression, celui de dépression agitée est plutôt pris pour une forme de psychose du sujet âgé, et le diagnostic d'entrée en démence est souvent évoqué en raison des troubles du comportements en faveur d'une certaine frontalité. Cependant, aucun de ces patients n'a évolué avec un recul de 2 ans, et on évoquerait plus facilement un diagnostic d'épisode mixte si ces patients avaient été plus jeunes. A noter enfin qu'il n'y a sans doute pas de frontière stricte entre ces deux tableaux.

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Les études en cours ou à venir

En rTMS tout d'abord, notre expérience dans le domaine des hallucinations réfractaires nous incite à penser qu'un traitement personnalisé en fonction du patient et du type de dépression qu'il présente sera plus efficace et présentera moins d'effets indésirables qu'un traitement à priori tel qu'il est pratiqué actuellement. Aussi nous avons développé les techniques d'imagerie IRM permettant de localiser les aires impliquées dans les symptômes. D'autre part, nous avons participé à la confection et au développement d'un système robotique pour le positionnement précis et automatisé de la sonde de rTMS en regard de ces régions. Ce dernier viens d'être marqué CE (cf. Axilum Robotics). Nous allons démarrer l'étude e-PAT neuromod ( Evaluation of Personalized Antidepressant Treatment by neuromodulation) qui testera la supériorité de la rTMS personnalisée par rapport à 2 autres techniques de neuromodulation ayant fait leurs preuves sur des dépressions de faible résistance (quoique non exclusif, nous nous adressons principalement aux grades Thase 1 à 3, Fava 1 à 5).

Avec l'étude CADOT (Chronic Anenergic Depression Open Trial), nous voudrions confirmer l'efficacité des traitements pharmacologiques proposés dans le cadre de la dépression anénergique (Thase ≥ 3, Fava ≥ 5). Aujourd'hui les 100% de rémission complète sont certes encourageants, mais ne s'adressent qu'à un petit effectif de patients. Nous souhaiterions pouvoir aller jusqu'à un effectif de 20 patients traités en ouvert. Consultez la page sur la dépression anénergique pour en savoir plus.

D'autre part, devant la proportion importante de patients hors des filières de soins classiques, nous nous interrogeons sur la prévalence des dépressions chroniques. Nous tentons de mettre en place une étude épidémiologique CODA-epidem visant à estimer le nombre de patients qui en sont atteints et si possible de pouvoir en préciser la forme clinique. Consultez la page de l'étude.

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Les échelles

  1. Echelles de gradation de la résistance :
  • Thase et Rush 1997
StadeDéfinition
1 Echec d'une cure d'antidépresseur
2 Echec d'une cure d'un autre antidépresseur de classe différente
3Echec d'une cure d'un antidépresseur tricyclique
4Echec d'une cure par IMAO
5Echec d'une cure d'ECT
  • Fava 2003 : additionnez les points de chaque cure. Exemple : 2 cures avec un seul antidépresseur et 1 combinaison = 2.5.
PointsDéfinition
+ 1 Absence de réponse à une cure adéquate d'un antidépresseur   
+ 0.5Absence de réponse à une optimisation de dose
+ 0.5Absence de réponse à une cure adéquate d'un traitement d'augmentation ou d'une combinaison
+ 3Absence de réponse à une cure d'ECT
  1. Echelle d’évaluation globale du fonctionnement (EGF)
  2. Echelle d'autonomie pour les activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL)

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Autres documents

  • Dopamine, apathie et dépression : les leçons à tirer de la maladie de Parkinson (nouvelle)
  • La dépression anergique (page web)
  • J Foucher, "Dépressions résistantes - dépressions bipolaires ?" Présentation du 14-01-2014 (flash, pdf)