Psychoses d'hypersensibilité aux neuroleptiques ou aux antipsychotiques

There is no question that once patients are placed on medication, they are less vulnerable to relapse if maintained on neuroleptics. But what if these patients had never been treated with drugs to begin with? …
We raise the possibility that antipsychotic medication make some schizophrenic patients more vulnerable to future relapse than would be the case in the natural course of the illness.

Carpenter 1977

Il ne fait pas de doute qu’une fois que les patients sont traités au long cours par neuroleptiques, ils sont moins vulnérables à une rechute. Mais comment cela se passerait-il si ces patients n’avait jamais commencé ce médicament ?…
Nous formulons l’hypothèse que le traitement neuroleptique rend certains patients schizophrènes plus vulnérables à une nouvelle rechute, ce qui ne serait pas le cas si la maladie avait suivit son libre cours.

Les psychoses d'hypersensibilité sont des notions encore débattues. La forme dite "de sevrage" a pourtant été reconnue par plusieurs auteurs de façon indépendante. Il s'agit d'un trouble psychotique apparaissant chez un sujet ayant consommé sur une période prolongée des antagonistes D2 (directe ou indirecte) dans les mois qui suivent l'arrêt du traitement.
Elle s'observe chez des sujets sans antécédents psychiatriques. Chez le patient psychotique, elle peut se confondre avec sa pathologie, même si elle n'en a pas systématiquement l'aspect. Sa reconnaissance mérite une approche thérapeutique adaptée.
L'existence de la forme dite "tardive" est plus difficile à assurer car elle pourrait ne représenter que l'évolution naturelle de la pathologie mentale avec laquelle elle est presque toujours associée.

 

Historique

Au-delà du mot de Carpenter, c'est Guy Chouinard, un psychopharmacologue Canadien (québécois), qui en 1978 donnera son nom à cette entité. Sa conception est plus large que celle usuellement retenue, puisqu'elle englobe aussi des phénomènes de tolérance survenant sous traitement continu. Albert, dans un chapitre écrit en 1986, décrit cette accélération apparente des cycles ou cette impossibilité d'arrêter le neuroleptique chez des sujets pourtant classifiés dans la nosographie de Leonhard comme des formes rémittentes pures.
En effet, chez les patients psychotiques, on observe plus de récidive qu’avant l’ère des neuroleptique (20-30% vs 40-50%/an) et celles-ci semblent liées à l’arrêt du traitement. La cinétique de la rechute est aussi évocatrice : 50% dans les 3 mois, rare > 6 mois après l’arrêt d’un anti-dopaminergique.

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Clinique

Il existe deux grandes formes à ces psychoses d'hypersensibilité (cf. critères diagnostiques de Guy Chouinard) :

La forme de sevrage
C'est la seule que en plus des patients psychotiques, s'observe aussi chez des individus sans trouble psychiatriques traités par antidopaminergiques directs ou indirects de façon chronique (pour vomissement avec du primpéran, pour hypertension avec de la réserpine) ou chez des patients souffrant de trouble dépressif, bipolaire pur, obsessionnel-compulsif ou dysmorphophobique traités au long cours par des neuroleptiques et chez lesquels l'arrêt fait apparaître des symptômes jamais observés auparavant. La clozapine semble avoir une place à part, puisqu'une psychose peut aussi s'observer lors de son arrêt pour passer à un autre neuroleptique. Ce phénomène, bien que rapproché du concept de psychose d'hypersensibilité, n'est pas retenu par tous les auteurs comme en étant un équivalent.
La psychose d'hypersensibilité de sevrage survient moins de 6 mois après l'arrêt du traitement (pic qui semble être autour de 3 mois). Elle est souvent précédée par une période "hypomane" (bien être, augmentation des activités et surtout réduction des besoins de sommeil) ou marquée par une plus grande sensibilité au stress.
Le début est classiquement aigu (au sens de la CIM, soit < 2 semaines).
Sur le plan clinique, les symptômes varient en fonction du terrain sur lequel ils s'expriment. Cependant certaines caractéristiques sont évocatrices : chez le patient psychotique, la présence de symptômes nouveaux, c.-à-d. non observés lors des rechutes précédentes. Chez le sujet non psychotique ou bipolaire, la forme est proche d'une psychose amphétaminique : agitation, tachypsychie, paranoïa, hallucinations.

Les formes dites tardives
Celles-ci n'ont été observées que chez des patients psychotiques pour lesquels il n'est pas toujours facile de déterminer la part de la maladie et la part du traitement.
Le développement d'une tolérance au traitement, c.-à-d. la nécessité d'augmenter des doses de neuroleptique pour maintenir l'effet thérapeutique, en est le phénomène central.
L'association à des dyskinésies tardives avec lesquelles on suppose une physiopathologie commune est considérée comme évocatrice.

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Physiopathologie

Il est démontré que les neuroleptiques induisent rapidement une augmentation de la sensibilité à la dopamine chez l'animal (rat). Ce phénomène correspond à la fois à une augmentation du nombre de récepteurs D2, mais aussi à une plus forte proportion de leur forme la plus sensible à la dopamine (D2high). Il a aussi été montré que ces modifications sensibilisaient l'animal à la dopamine (forme de sevrage) et réduisait l'efficacité des neuroleptiques (forme tardive). Ces modifications semblent être durables encore que nous n'avons pas connaissance de travaux chez l'animal s'étendant au delà de quelques mois. La vitesse et peut-être l'intensité du phénomène sont dépendants du mode d'administration puisqu'une dose sanguine constante (NAP / APAP) semble être plus inductrice qu'une délivrance par a-coup (per os).
L'augmentation des récepteurs D2 a aussi été démontrée chez les patients schizophrènes lors de l'examen post-mortem, mais aussi in vivo en PET. Cette augmentation aurait aussi été observée chez des patients à priori non traités. Malheureusement l'argument est fragile car l'absence de traitement n'est assuré que de façon rétrospective sur dossier (or quelques semaines, peut-être jours suffisent), et le nombre de tels sujets est très faible. Il est de plus probable que l'importance de cette augmentation du nombre de récepteurs soit variable en fonction des sujets.

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Diagnostics différentiels

Les propositions qui suivent ne sont fondées sur aucune donnée et doivent donc être considérées comme des propositions.
La durée moyenne d'un épisode de psychose rémittente non traité est de 3 à 9 mois (exemple des psychoses cycloïdes ou des schizophrénies non-systématisées au début). Aujourd'hui, la durée symptomatique d'un épisode de ces formes de psychoses purement rémittente est largement réduit par le traitement (< 3 mois). Cependant, comme ce dernier n'est que symptomatique, la diathèse (le processus pathologique), n'est en rien affectée et s'exprimera à nouveau dès que le traitement est arrêté. C'est pourquoi il est recommander de poursuivre la thérapeutique durant cette période (notion de phase de "consolidation"), son arrêt risquant d'entrainer une rechute qui n'est que la récurrence symptomatique du même épisode. Certes, cette rechute précoce sera exacerbée par un phénomène de tolérance, mais il ne s'agit cependant pas d'une récidive (nouvel épisode), ce qu'est une psychose d'hypersensibilité de sevrage. Différencier les deux est un exercice difficile. La disparition complète de tout symptôme, incluant des symptômes thymiques pour une durée suffisamment longue (> 1-6 mois ?) pourrait en être le meilleur argument.
Dans le cas ou plusieurs mois ou années s'écoulent avant un nouvel épisode d'une forme rémittente, la confusion avec une récidive de la psychose est tout aussi problématique. C'est particulièrement vrai pour les psychoses cycloïdes très sensibles au sevrage aux neuroleptiques (équivalent à un stress). Doit-on alors parler de psychose d'hypersensibilité plutôt que d'une récidive ? Pour les formes de schizophrénies non-systématisées en revanche, le diagnostic différentiel est plus facille à envisager.

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Proposition de critères (recherche)

Ces critères ont été proposés par Guy Chouinard dans Psychopharmacol. Bulletin en 1990 (traduction Jack Foucher pour le CEP), ils ne sont sans doute pas définitifs.

Cliquez sur le lien ci-contre pour voir l'état actuel des critères diagnostics en anglais. Seuls les membres du CEP peuvent les modifier. Mais vous pouvez réagir soit en nous envoyant un mail, soit en insérant un commentaire.

Critères

A. Le patient doit avoir été traité au moins 3 mois par un antipsychotique

B. Au moins 1 des critères majeurs :

  1. Réapparition de symptômes psychotiques lors de la diminution ou de l'arrêt du traitement survenant dans les 6 semaines (si per os) ou 3 mois (si action prolongé).
  2. Plus fréquentes récidives (psychoses aiguës) depuis que le patient est sous traitement neuroleptique continu.
  3. Développement d'une tolérance au traitement (nécessité d'augmenter la dose d'au moins 20% sur les 5 dernières années).
  4. L'augmentation de dose ne permet plus de masquer les symptômes.
  5. Les symptômes survenant à la réduction ou l'arrêt du traitement sont d'un type nouveau, non vu précédemment chez le patient ou plus sévères.
  6. La rechute psychotique survient lors d'une diminution de plus de 10% survenant brutalement, mais pas si celle-ci est graduelle.
  7. Tolérance au traitement mis en évidence dans le passée, mais traitement actuel à forte dose au moins 2 fois par jour.

C. Au moins un des critères mineurs si un seul critère majeur est présent :

  1. Dyskinésies tardives
  2. Amélioration rapide lors de la ré-augmentation ou ré-introduction du traitement après une diminution ou un arrêt.
  3. Évidente exacerbation des symptômes psychotiques par le stress.
  4. Apparition de symptômes psychotiques avant la nouvelle injection chez les patients sous forme retard.
  5. Prolactinémie élevée (> 2 x la normale) ou doublement des Rc aux neuroleptiques.

D. Critères d'exclusion :

  1. Premier épisode
  2. Patients psychotiques sévères ne répondant pas aux neuroleptiques

Sous-types

Niveau I: PHSN de sevrage, réversible lorsque le seul critère majeur présent est le 1 et/ou le 6

Niveau II : PHSN de type tardif

IIa – Masqué et  essentiellement réversible lorsque seul le critère majeur 3 est présent.
IIb – Masqué et  essentiellement réversible lorsque seul le critère majeur 7 est présent.
IIc – Exprimé et essentiellement irréversible lorsque le critère 1 est présent avec n'importe lequel des autres critères majeur (en dehors du 6)

Niveau III : PHSN de type sévère lorsque le critère majeur 4 est présent

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Rapport avec les classifications internationales

La psychose d'hypersensibilité n'est pas reconnue par les classifications internationales, un des diagnostics de trouble psychotique devrait être retenu. Même le diagnostic de trouble psychotique induit par une substance autre (ou inconnue - F19.5x) ne peut être utilisé puisqu'il s'agit d'une intoxication et non d'un sevrage.

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Terrain

Prise prolongée (> 1 mois) d'un traitement anti-dopaminergique : primpéran (vomissements), réserpine (hypertension), neuroleptique / antipsychotique.
Arrêt de ce traitement et survenue de l'épisode dans les 3 à 6 mois qui suivent. La probabilité de survenue est réduite si la diminution du traitement est progressive (> 3 mois) et non abrupte.

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Pronostic

Les formes dites de sevrage semblent le plus fréquemment de bon pronostic dès lors que le traitement est réintroduit. Il n'est pas inenvisageable de le réduire à nouveau jusqu'à son arrêt de façon très progressive par la suite. L'impression est que ceci est d'autant plus facile que les niveau de dopamine endogènes sont faibles, autrement dit que le sujet est âgé et qu'il ne consomme pas de toxique.
Les formes tardives ont un pronostic beaucoup plus réservé en revanche, mais en partie en lien avec le pronostic du trouble psychotique dont elle pourrait aggraver le pronostic.

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Traitement

Traitement de l'épisode

La réintroduction d'un neuroleptique permet classiquement un retour rapide à la normale (rémission symptomatique en moins de 4 semaines). Dans la phase prodromique ou en plus du neuroleptique, les benzodiazépines sont un adjuvant intéressant, d'autant que le sujet n'est pas connu comme psychotique. Dans ce cas, une action sur le sommeil serait déterminante, l'objectif étant de faire dormir le patient, de façon analogue à ce qui est proposé pour la prévention de certaines manies, épisodes de psychose cycloïde ou psychose post-ictale.

Traitement au long cours

Il ne fait AUCUN doute que les neuroleptiques réduisent les symptômes et la durée des épisodes psychotiques (NNT de 3 à 4), de sorte qu'il ne serait pas étique de ne pas proposer ce traitement à un patient. La gestion au long cours de ce traitement est plus problématique.
Pour les recommandations basées sur les classifications internationales, il est certain qu'il soit prudent de maintenir un traitement de consolidation au moins 1 an après la rémission symptomatique pour sortir de la période équivalente à l'évolution spontanée d'un épisode (cf. recommandations). Si le traitement de maintien est justifié en cas de récidives multiples, d'autant plus qu'elles sont rapprochées, 20% des premiers épisodes ne récidiveront pas à 5 ans.
Pour l'école de WKL, l'attitude doit être ajustée en fonction du trouble sous-jacent. Une longue stabilisation n'est pas forcément nécessaire pour une psychose cycloïde dont la durée d'évolution spontanée moyenne est de 3 mois. En revanche une durée de consolidation plus longue serait nécessaire pour une schizophrénie non-systématisée.
Bien que plus discutable dans ce dernier cas, ne pas poursuivre la prise du traitement pendant une phase de maintien est une option que les patients envisagent souvent sans nous. Les laisser faire sans accompagnement en mène près de 30% à rechuter sous la forme d'une psychose d'hypersensibilité de sevrage. Il est en effet claire qu'une réduction très progressive du traitement sur 1 à 2 ans réduit considérablement ce risque, avec une probabilité de rechute qui ressemble beaucoup plus à celui décrit par les observation menées avant l'ère des neuroleptiques. Aussi si l'objectif est l'arrêt du traitement, celui-ci doit se faire par paliers successifs et sous surveillance stricte d'éventuelles prodromes. Ceux-ci sont variables en fonction des patients, mais le sommeil pourrait être un paramètre crucial, d'autant qu'il s'agit d'une psychose cycloïde.

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Cas cliniques

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