12/01/2015

Dépression bipolaire

On sait que le diagnostic de bipolarité au sens CIM/DSM du terme n'est posé que tardivement dans la vie du patient. En moyenne on parle d'un retard diagnostique de 10 ans. Pourtant ce n'est pas que les psychiatres soient incompétents, c'est jusque que, par définition, un patient qui ne fait que des épisodes dépressifs les premières années n'est pas bipolaire, mais unipolaire. C'est toute l'absurdité des classifications internationales que d'obliger à ces incohérence phénotypiques. Nous ne sommes pas les seuls gênés pas cela, au point que des auteurs dont des anglo-saxons ont proposé ce concept de "dépression bipolaire" pour permettre un diagnostic plus précoce. Or dès son introduction du concept de bipolarité, l'école de WKL avait déjà proposé des critères pour diagnostiquer les formes endogènes de dépression : formes unipolaires (6) vs. dépression bipolaire vs. formes pseudo-dépressives d'une psychose cycloïde ou d'une schizophrénie. Mais si les premières sont généralement faciles à distinguer d'une dépression réactionnelles en raison de leur clinique stable et caractéristique, il est cependant exact que cette dernière est parfois difficile à distinguer d'une dépression bipolaire lors d'un premier épisode.

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Clinique

La clinique de la dépression bipolaire est des plus polymorphes qui soient. Rien d'étonnant à ce que cette polymorphie ait découragé les classifications internationales de vouloir la décrire au point d'y avoir renoncé. Ainsi parle-t-on de dépression unipolaire ... jusqu'à preuve du contraire. La preuve devant être la démonstration ultime : un état manique ou hypomane.

La dépression bipolaire est polymorphe, c.à.d. une symptomatologie riche et changeante:

  1. Une symptomatologie riche :
    • La dépression bipolaire peut prendre non seulement l'aspect de toutes les formes cliniques unipolaires, c.à.d. la mélancolie ou les dépressions pures, mais aussi d'un mélange de ces formes et prendre un aspect mixte ou incomplet.
      • La forme pure la plus souvent reproduite par le pôle dépressif de la PMD est probablement la forme agitée (ou anxieuse). Mais toutes les formes sont possibles, dont la dépression indifférente. Le tableau clinique de dépression anénergique incluant celui de dépression atypique décrite par les américains (réactivité de l’humeur, symptômes végétatifs inversés, lourdeur, sensibilité au rejet) est également assez fréquent. L'anxiété est une composante fréquente, de même que les sensations corporelles comme des sensations "électriques" dans les membres ou un serrement de coeur. Les phénomènes cénesthésiques identiques à ceux observés dans la dépression hypocondriaque sont plus rares, mais peuvent aussi s'observer.
      • Il faut entendre formes mixtes dans un sens nettement plus large que celui retenu par le DSM. Il faut reprendre les 3 grands domaines psychiques considérés : psychomotricité, pensée, affectivité et juger de la cohérence entre eux. Si deux domaines psychiques sont de polarité opposée, on parle de mixité. La présence d'une irritabilité, voire d'attaque de colère est une manifestation possible et fréquente d'une mixité. Maintenant il peut aussi arriver que certains domaines psychiques ne soient pas affectés, on parle alors d'incomplétude des pôles (ou d'états incomplets), un concept qui complète les idées sur la mixité de Kraepelin ou de Weygand.
        Exemples d'états mixte (colonne de gauche) et d'états incomplets (colonne de droite dont un mélange des deux) : inhibition (⇓⇓), excitation (⇑⇑) ou pas de changement (==).

          Affects  Pensée  Psychomot   Affects  Pensée  Psychomot
        Mélancolie⇓⇓⇓⇓⇓⇓  Dépression⇓⇓====
        Dépression avec
        fuite des idées
        ⇓⇓⇑⇑⇓⇓  Dépression avec
          ruminations
        ⇓⇓==⇓⇓
        Dépression
        agitée
        ⇓⇓⇓⇓⇑⇑  Dépression
          stuporeuse
        ⇓⇓==
        Manie dépressive⇓⇓⇑⇑⇑⇑  Mélange⇓⇓==⇑⇑

    • Une composante psychotique est possible. Comme dans les psychoses cycloïdes la psychose découle de l'atteinte d'un système et la restitution ad-integrum avec préservation de l'insight est requise. Le diagnostic différentiel avec une psychose cycloïde est alors délicat surtout face à un premier épisode. Mais en règle générale, même lors du premier épisode, on se rend compte que le spectre symptomatique est plus large que celui d'une psychose cycloïde. Par exemple on observe un mélange ou un passage d'un tableau cycloïde à l'autre ou avec d'autres tableaux thymiques. Bien que la littérature internationale tende à décrire les tableaux psychotiques comme plus fréquents dans la bipolarité chez le jeune adulte que chez le sujet d'âge mur, ce n'est pas l'impression que l'on a à partir de la PMD léonhardienne. La différence tient possiblement au fait que certaines psychoses cycloïdes ou certaines schizophrénies non systématisées dont le début est en moyenne autour de 22 - 25 ans se présentent souvent sous la formes d'épisodes d'apparence thymique au sens des classifications internationales. Le caractère cohérent ou non à l'humeur de la psychose ne permet pas de faire le diagnostic différentiel avec ces formes.
    • Pour en terminer avec le spectre symptomatique, une dépression confuse est possible.
  2. Les symptômes changent, aussi bien en inter-épisode qu'en intra-épisode, soit de façon spontanée soit parfois sous l'effet des médicaments ou des circonstances extérieures. Ainsi un tableau clinique de mélancolie peut se transformer en tableau de dépression anxieuse sous l'effet de la clomipramine. Bien sur un véritable switch sous antidépresseurs est quasi pathognomonique. Concernant les changements en rapport avec les circonstances, on parle de réactivité de l'humeur lorsque la symptomatologie thymique suit le contexte de façon adaptée : comme par exemple un tableau de dépression anénergique qui se lève le temps de recevoir des invités, ou comme un tableau de mélancolie qui disparait le temps de la consultation. Mais le sens du changement n'est pas nécessairement cohérent avec le contexte, par exemple le décès d'un proche peut entrainer une première réaction de rebond, d'amélioration.
  3. Le délai du changement est classiquement court, parfois quasi instantané. C'est vrai pour le début et/ou la fin de l'épisode : un temps inférieur à 2 jours est très en faveur, un temps inférieur à 2 semaines classique. Lors de la sortie de l'épisode, on observe parfois non pas une régression progressive des symptômes, mais parfois une sortie en créneaux, c.à.d. fait de changements abruptes entre un état dépressif et un état "normal" avant de se stabiliser.
  4. Les réponses paradoxales aux antidépresseurs sont également en faveur : résistance, modification du tableau clinique, aggravation... La résistance est rarement présente dès le premier épisode dépressif. Le plus souvent les patients rapportent une histoire d'essoufflement du traitement avec une rémission de plus en plus longue et difficile à obtenir malgré l'usage du même antidépresseur, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus être obtenue. Les modifications du tableau clinique ont déjà été abordées plus haut. Les états mixtes et les état incomplets sont une forme classique de modification de la symptomatologie. Les tableaux dans lesquelles l'énergie est présente comme dans la dépression agitée ou anxieuse sont à risque de passage à l'acte suicidaire élevé et imprévisible. Ce n'est d'ailleurs pas toujours une véritablement volonté suicidaire que la volonté de calmer leur souffrance qui anime ces patient dans l'instant. Nous parlons souvent de levée d'inhibition dans ce cas. Il est probable qu'une bonne part d'induction d'états incomplets soit appelée "rémission incomplète" dans la littérature internationale. Enfin le changement peut se faire dans le sens d'une aggravation. C'est à notre sens le cas lors de l'induction d'un état d'agitation anxieux dont nous discutions plus haut en raison du risque suicidaire qui lui est associé. Mais l'antidépresseur peut aussi être responsable de la chronicisation du tableau clinique. L'effet d'induction et d'entretien d'un tableau clinique de dépression anergique par la plupart des IRS est classique. Comme nous le verrons l'add-on d'un thymorégulateur permet parfois de retrouver une sensibilité à l'effet antidépresseur. Parfois c'est carrément l'abandon de l'antidépresseur qui permet la rémission.

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Arguments pour une dépression bipolaire selon la littérature internationale

Le concept de dépression bipolaire n'est pas reconnu pas les classifications internationales. Cependant certains auteurs ont tenté de proposer des arguments pour évoquer une dépression bipolaire face a un épisode dépressif unique ou répété. Voici les propositions de El-Mallakh et Ghaemi (2006) complémentés des recherches de l'école de WKL (suivies d'une étoile si pas mentionnées dans la littérature internationale) :

  1. Arguments cliniques
    • Forme atypique (réactivité de l’humeur, symptômes végétatifs inversés, lourdeur, sensibilité au rejet), que nous incluons dans les forme anénergiques
    • Forme anxieuse, agitée
    • Irritabilité, attaque de colère
    • Etat mixte
    • Psychose
    • Antécédents familiaux ++
    • Instabilité du tableau clinique intra- ou inter-épisode*
    • Certaines combinaisons non observées dans la mélancolie ou les dépressions pures*
  2. Arguments évolutifs
    • Début précoce
    • Fréquence des récurrences
    • Survenue dans le post-partum
    • Cycles rapides
    • Durée brève
    • Personnalité hyperthymique
    • Installation ou sortie aigües (< 2 semaines)*
  3. Arguments "thérapeutiques"
    • Manie, hypomanie induite (switch)
    • Psychose, état mixte, cycles rapides, suicidalité induite par antidépresseurs
    • Résistance (à > 3 cures)
    • Perte d’efficacité des antidépresseurs, qui ne traitent que l'épisode, mais ne permettent pas le maintien, ou alors épuisement de l'effet

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Traitement

Il est fréquent que les premiers épisodes répondent bien aux antidépresseurs classiques. Ce n'est qu'avec le temps que leurs effets s'épuisent voire qu'ils finissent par aggraver ou modifier l'expression symptomatique du trouble. La prescription d'antidépresseurs classiques seuls peut en effet pérenniser une dépression bipolaire et en faire une dépression chronique.

C'est tout l'intérêt d'une co-prescription avec un thymorégulateur. Le plus validé est le lithium. Les composés issus de l'acide valproïque n'ont pas de preuve d'efficacité dans ce contexte. La LAMOTRIGINE est d'efficacité douteuse pour le traitement, mais reste reconnue comme efficace pour le maintien. L'OXCARBAMAZEPINE est sans doute à préférée à la CARBAMAZAPINE, bien que seule cette dernière ait un intérêt probable démontré. Les antipsychotiques en chef desquels la QUETIAPINE, l'ARIPIPRAZOL et l'OLANZAPINE ont des preuves de validité en association.

Hors association, seule la QUETIAPINE a des preuves d'efficacité lorsqu'elle est prescrite seule. On suppose que cela est dÛ à son effet agoniste partiel des Rc 5HT1a corticaux et/ou à son métabolite (la NORQUETIAPINE) qui est un inhibiteur de la recapture de la NA (ce qui entraine aussi une augmentation de DA en préfrontal). Elle est cependant difficile à maintenir sur le long terme et l'association avec la LAMOTRIGINE dès le départ permet de switcher sur cette dernière une fois qu'elle est à dose efficace. A noter que disponible aux US, la LURAZIDONE, un antipsychotique atypique, s'est révélée efficace avec un profil d'effets secondaires plus favorable. Son effet agoniste partiel des Rc 5HT1a corticaux et sur les 5HT7 est mise en avant pour expliquer son efficacité dans cette indication approuvée par la FDA.

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Cas cliniques

Kristine

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